SILVERBACKS, Archive material (disponible chez Full Time Hobby)
Âpre et mélodique.
Silverbacks vient de sortir son deuxième album, Archive Material, après un premier LP, Fod, sorti lui en juillet 2020 (contre l’avis du label, mais ainsi en allait de la « santé mentale des membres qui désiraient passer à autre chose) et ayant récolté sa petite somme de critiques positives.Ce groupe irlandais possède, il est vrai, un style bien à lui, math rock hyper mélodique, aux compositions exigeantes dans la forme et au regard aiguisé sur le fond. Archive Material pourrait bien, lui aussi, vendanger une pluie de critiques dithyrambiques.
Ce groupe se compose des frères Daniel (chant) et Killian O’Kelly (chant, guitare), d’Emma Hanlon (basse, chant), Peadar Kearny (guitare) et Gary Wickham à la batterie. Ce deuxième opus s’attarde sur l’événement qui a secoué le monde en 2020, avec une dose d’humour surréaliste, mais en s’interrogeant aussi fortement sur les aspects anthropologiques et sociétaux, en peignant des portraits à la fois drôles et touchants observés durant la crise.
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Entrée en matière.
Archive material ouvre l’album du même nom et donne le la d’un album qui ne surfera jamais sur la facilité. Titre tarabiscoté à l’extrême, avec une structure faisant apparaître deux « vides » dont nous ne savons pas s’ils marquent la fin du morceau ou non, il laisse déjà affleurer une incroyable science de la mise en scène et d’une expérimentation poussée, rappelant parfois celle d’un Zappa.
En effet, si le premier album du combo cherchait à retranscrire l’énergie de Silverbacks sur scène, son successeur lui attache autant d’importance à l’énergie du live qu’à l’art plus posé du studio, espace de possibles et de tests en tout genre. En résulte 12 titres à la fois dansants, remuants, mais aussi très réfléchis, agencés avec un soin méticuleux, complexes en étant paradoxalement accessibles.
Les rythmiques, véritable colonne vertébrale sur laquelle le quintet pose ses textes et sa musique, sont légères et souvent trépidantes. L’alchimie se fait ressentir tant la complicité entre la bassiste et le batteur s’entend . Celle-ci se transmet également à l’ensemble du groupe tant les guitares et claviers ne sont pas en reste, prenant la relève en tissant des trames mélodiques faisant mouche instantanément.
Les arrangements sont pointilleux, mais dégagent eux aussi cet aspect live, important, qui nous montre que le groupe doit être tout aussi excellent sur scène qu’en studio. Ainsi, sans nul doute, le plaisir de les voir en concert doit avoisiner celui de les écouter au casque chez soi.
Parfois âpre, parfois planant.
Le groupe joue les contrastes, alternant morceaux purement rock, et d’autres plus obsédants, proche d’une certaine forme de psychédélisme, jouant sur des motifs répétitifs enivrants. L’instrumental Carshade fait lui office d’ovni au milieu des guitares avec sa plage éthérée de claviers hypnotiques et légèrement mélancoliques (sentiment que l’on retrouve relativement peu sur l’album).
Les structures jouent souvent la rupture, les dissonances, mais restent cohérentes, baignées dans un dynamisme contagieux. La voix lead, souvent « crachée », scandée, ou presque parlée, possède des atours post punk, des approximations contrôlées (autrement dit, c’est fait exprès, et ça fonctionne à tous les coups).
On aime parfois le côté « bricolage » des arpèges de guitares, le côté poussif de certaines attaques, qui créent un décalage, un déséquilibre dans lequel s’engagent les autres membres du groupe pour remettre le tout d’aplomb. On pense à Pavement, notamment pour cet art de faire sonner diaboliquement un morceau qui pourrait se rétamer la gueule à chaque nouvelle idée, mais irréprochable sur les mélodies.
Cette ambivalence ne gâche jamais le plaisir d’écoute d’Archive Material. S’il nécessite quelques écoutes avant de révéler tous ses charmes, la première nous montre clairement qu’il se passe quelque chose de très fort, d’unique, qui nous pousse justement à tendre l’oreille sur la suite du disque.
Complexe comme l’être humain.
Ce disque s’avère donc riche, complexe, comme une métaphore de l’être humain avec ses états d’âme, ses doutes et ses certitudes. Si la mélancolie est peu présente, nous sentons en revanche pointer une lueur de nostalgie, un sentiment proche de la colère, celui provenant d’une incapacité à être autre chose que ce que nous sommes (par exemple, Daniel O’Kelly, dont la sœur travaillait dans un hôpital « covid » se sentait un peu misérable à écrire des textes pour une compagnie d’assurances). À côté de cela, nous sentons aussi de la joie, un élan qui dirait que, même si l’époque est nulle, il ne faut pas oublier de s’en amuser.
Nous naviguons de gré ou de force dans cet océan tumultueux d’idées qui se bousculent et se succèdent avec une régularité, une cohérence et une force folle, sans oublier d’être parfois drôle, parfois plus émouvant. Il ne plaira pas à tout le monde ce disque, et quelque part, égoïstement, c’est très bien ainsi, puisque nous, nous le savourons à chaque nouvelle écoute.
LE titre d’Archive material.
C’est un morceau figurant en fin d’album qui nous botte particulièrement. Parce qu’il alterne voix masculine et féminine, parce qu’il est profondément rock, possède un groove imparable. On aime cet aspect un peu chaloupé, cet avant refrain accrocheur, qui pourrait fédérer ou être repris en choeur dans un stade (pourquoi pas?). On aime aussi le traitement sur les guitares, au même moment d’avant refrain, et sur le pont.
Le refrain, en voix féminine, dégage quant à lui une certaine douceur, en rupture avec le couplet plus rugueux. Enfin, la partie finale instrumentale, ascendante, libère quelques charmes « oniriques », eux aussi très doux. Excellent mélange bousculé/cajolé, Nothing to write home about annonce le dernier titre I’m wilde, le plus « traditionnellement » rock (voire pop) de l’album. Ce duo de titre sert à merveille un finish d’album de grande classe.