Chronique livre chronique roman, nouvelles, récit
CÉLINE MINARD, Plasmas, écriture en fusion
Roman paru aux éditions Rivages.
Plasmas est un livre très surprenant, foisonnant d’idées, nous montrant un environnement parfois déroutant. Mais avant d’entrer dans ses spécificités, parlons de l’autrice qui se cache derrière. Céline Minard n’est pas une débutante dans le milieu littéraire puisqu’elle compte déjà plusieurs livres à son actif, 11 pour être précis.
Parmi eux, certains ont reçu des prix littéraire, notamment Bastard battle, paru aux éditions Léo Scheer, ensuite réédité aux éditions Tristram Souple en 2013. il a reçu la Mention spéciale du prix Wepler en 2008. Ensuite, So long, Luise, paru aux éditions Denoël, qui a reçu en 2011 le Prix Franz Hessel, et enfin Faillir être flingué, déjà édité chez Rivages en 2013, a reçu les Prix Virilo, prix du Livre Inter et enfin a fait partie de la sélection du prix Mauvais genres en 2013. Pour compléter ce palmarès, nous ajouterons que Plasmas est d’ores et déjà sélectionné pour le prix Médicis.
L’autrice est éditée aux éditions rivages depuis 2013 et Plasmas est son cinquième ouvrage chez cet éditeur, l’avant-dernier remontant à 2019. On peut donc dire que Céline Minard est une écrivaine plutôt prolifique, et quand on voit qu’elle n’a mis que deux ans pour écrire ce Plasmas incroyable, on ne peut que se dire que la somme de son travail a dû être conséquente. Ce livre est en effet un ovni dans le paysage littéraire actuel. Pas vraiment de science-fiction, pas vraiment ethnologique ou sociologique, il parle d’un monde d’après. Mais duquel ?
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Futuriste ?
Pour être totalement honnêtes, nous ne savons pas si Plasmas est à proprement parler un roman. Peut-être s’agit-il plus exactement d’un recueil de nouvelles. En effet, chaque chapitre est indépendant de celui qui le suit ou le précède, ce qui tendrait à faire pencher la balance du côté du recueil. Néanmoins, il y a une cohérence très forte entre les thèmes abordés au fil de chaque histoire, une forme de continuité, voire même de progressivité tout au long de l’ouvrage. Le résultat de cette homogénéité : tout est terriblement cohérent, tout forme un bloc à l’image d’un roman.
La première histoire nous place dans un univers déjà très marqué, plutôt futuriste, ou des Hommes effectuent du trapèze volant sous l’œil scrutateur de machines ou d’intelligences artificielles qui étudient chacun de leur mouvement. La dernière nous raconte un monde vu à travers le regard de La Kuin, une entité, une femme peut-être même si le terme femme paraît galvaudé, à abattre.
Entre les deux, des mondes de mouvement (s), de matière (s), des mondes végétaux, génétiquement modifiés ou améliorés, ou transformés. Si certaines histoires nous place dans le futur, c’est la sensation étrange que l’on se trouve à la préhistoire de ce futur. Cet effet est assez déroutant, captivant, mais aussi très dérangeant parce que nous n’avons que peu de prises auxquelles nous raccrocher. Nous voulons dire par là que si l’enveloppe nous fait penser à de la pure SF, Céline Minard parvient à s’en extirper par le fond qu’elle dégage. Nous n’avons pas de repère stable, nous arrivons de plain-pied dans la surprise, dans un univers totalement inconnu dont la seule variable connue est celle des lettres qui se dévoilent à nous.
Une langue à elle.
Si nous reconnaissons les lettres, la langue, elle, nous captive et dégage aussi des parfums d’inconnus. Tout est difficile à cerner, à situer, mais nous nous laissons néanmoins embarquer. Pas le choix, il faut faire tomber nos automatismes, succomber aux charmes de l’inédit si nous voulons apprécier cette histoire, ou plutôt ces histoires à leur juste valeur. Alors, nous cherchons des repères, mais rien n’est si simple, notamment parce que les Hommes, dans la plupart de ces histoires, s’ils devaient être le nord de notre boussole interne ne le sont pas car ils ne nous ressemblent plus vraiment.
Ils ont en effet évolué, en phase avec l’histoire qui est celle qui nous pend au nez. C’est-à-dire ce monde qui court à la fin de son système écologique, avec une destruction programmée de la terre, un épuisement des ressources naturelles qui impliquent des nouveaux paradigmes si l’humanité veut simplement survivre. Ce monde dépeint par Céline Minard n’est pas forcément très accueillant (c’est un euphémisme). Elle a créé donc une nouvelle espèce d’homo (l’homo futuris?) qui a dû s’adapter à de nouvelles conditions de vie, ce qui a généré une profonde évolution des corps et des mentalités.
Sur terre ou au-delà !
Pour tout dire, le cadre même des différents chapitres nous bouscule. Nous ne savons jamais très bien si nous sommes sur la Terre, dans l’espace ou sur des nouveaux mondes. Les référentiels de lieux sont assez vagues, les décors ne sont pas plantés, on est projeté directement dans ceux-ci sans qu’on ne puisse rien y faire. À nous de nous adapter, ce qui nécessite une gymnastique intellectuelle grisante. Il n’existe pas de routine dans Plasmas, peut-être simplement des constantes puisque l’autrice nous dévoile des mondes qui répondent à des problématiques que l’on connaît du fait qu’elles sont régulièrement évoquées dans les médias ou par les scientifiques.
Ces thèmes sont ceux relatifs à la notion d’intelligence artificielle, au voyage spatial, à l’idée de vie sur une autre planète. Il y a aussi cette notion de progrès technologique ou, paradoxalement de retour à la nature. Céline minard évoque aussi en creux le transhumanisme, les organismes augmentés, bref, des thèmes qui sont déjà présents mais qui trouvent dans le livre une forme d’aboutissement.
La plume.
Nous avons été éblouis, il faut l’avouer, par certains de ces aspects. Comme le livre, ils sont assez inédits. Le premier qui nous vient en tête est celui du mouvement. Pas forcément celui qui est traduit par une action, mais le mouvement même de l’écriture, comme si elle possédait sa propre cadence, son rythme aidant. Elle est mouvante, mutante, fluide, elle nous entraîne avec elle, joue à nous repousser parfois. Les gestes sont traduits avec une rare acuité, mais c’est véritablement le mouvement même de l’écriture qui nous touche. Nous n’avions à vrai dire jamais ressenti cela, et en ce sens c’est très délicat à traduire.
Le deuxième qui nous a saisi, c’est le rapport aux matières. Les descriptions sont hallucinantes, d’une précision diabolique, avec des champs lexicaux qui se font de plus en plus précis, comme si nous pénétrions par une grande porte pour sortir par un trou de souris. L’effet « entonnoir » est puissant, le vocabulaire d’une rare richesse (qui nécessite souvent un dictionnaire à portée de main). La troisième c’est tout ce contexte biologique, là aussi creusé au plus profond du sujet. Nous découvrons et percevons l’infinité de la richesse de l’être humain, de la nature, même génétiquement modifiée, même « extra-terrestre ».
Ce livre incroyable n’est pas un essai de ce que sera le monde d’après. Il n’est pas une œuvre d’anticipation. Dans le même ordre d’idée, ce n’est pas un livre à charge ou politique. C’est juste un livre où l’imaginaire se mêle au littéraire afin de créer une œuvre d’une densité et d’une cohérence imposante, qui nous place finalement face à nous même.
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