KOIKOI, Pozivi u stranu, feu roulant et âme serbe.
Debut album disponible chez Moonlee records.
Saisis. Il ne suffit pas de grand-chose pour qu’un album vous saute à la tronche, pour ne pas dire à la gorge, comme le ferait un chien d’attaque. Avec son premier album Pozivi u stranu, Koikoi nous donne cette impression de s’imposer à nous sans nous laisser la possibilité de respirer, de nous rebeller contre cette intrusion de force dans notre bulle. Et forcément, nous raffolons de ça.
Il faut dire que le quartet en provenance de Belgrade sait s’y prendre pour réveiller chez nous cette étincelle de passion qui bien trop souvent semble un peu fade par les temps qui courent. Il faut dire que tout le décorum extra musical ne se prête guère à l’enthousiasme, ce qui est un doux euphémisme pour dire que le moral est en berne depuis presque un couple d’années. Alors quand Koikoi déboule avec sa ferveur, avec son explosivité presque guerrière, son inventivité et son chant dans sa langue natale, notre petit cœur fragile ne fait qu’un tour sur lui-même pour intimer à nos oreilles et notre cerveau de se tenir à l’affût.
Âme slave.
Le peuple serbe a souffert, comme celui de beaucoup de pays des Balkans. Ça laisse des traces, profondément ancrées. Si tout n’est pas conscient, cela s’engouffre dans le moi profond d’une population, et ça ressort d’une façon ou d’une autre. La première impression est qu’ici, tout émane du chant. Du chant lead, à la fois masculin et féminin puisqu’il existe au sein de Koikoi une certaine idée de la parité. Mais cela émane aussi des choeurs, qui entremêlent savamment les deux.
Dans un cas comme dans l’autre, nous sentons une implication forte, guerrière, celle qui appartient à un clan. Quand nous disons guerrier, ce n’est pas le sens négatif de la chose, mais dans le sens de celui qui harangue les foules, les appelle à se soulever pour refuser un schéma ou d’un destin tout tracé, subit. Non, ici, il implique que nous écoutions profondément ce qui se dit, quand bien même nous ne comprenons pas un traitre mot de ce qui se raconte. Qu’importe, la musique, c’est une affaire d’émotion, et ici, elle est vibrante.
Indépendance.
Le groupe composé de Marko Grabež, Emilija Đorđević, IvanaMiljković et Ivan Pavlović Gizmo se la joue sans complexe, et c’est tant mieux. Dire qu’il joue crânement sa vie dans cet album foisonnant d’idées serait peut-être un peu surjouer l’affaire, néanmoins, il y a tout de même un peu de ça. Le début d’album est tonitruant et ne nous offre un répit qu’à partir du septième titre, One koje bole doje se i vole. Avant lui, tout est brulant, intense, nous impacte de façon irréversible. Cette première pause nous fait donc un grand bien, nous permet de reprendre à la fois notre souffle et nos esprits (et terminer l’album d’une façon plus apaisée d’une certaine manière).
Ogledalo je zcralo ouvre le bal. Ce titre annonce la couleur et pose les bases du rock du combo. Traitement sonore sec, parfois abrasif, la production reste au plus près d’un son live. Pas de gros effets, peu de réverb, son électrique proche de la fibrillation, il est direct, tape fort et juste. Première poussée d’adrénaline. Pourquoi ? Parce que nous y trouvons un petit quelque chose d’anglo-saxon dans les références, mais qui trouverait ici un développement dans une touche personnelle très forte, un peu « exotique » également (par le choix du chant en serbe).
Mais une dimension autre nous assaille. Un feu roulant venu de l’histoire qui a meurtri des générations de serbes et même si les membres du groupe sont trop jeunes pour avoir vécu l’horreur de cette guerre ayant ravagé les Balkans, ils ont en partie vécu ses conséquences et elle fait ainsi partie de leur ADN.
Fraternité.
Pourtant, nous ne sentons pas d’esprit revanchard, mais plus un esprit qui pousse la jeune génération à aller de l’avant, à tenter d’effacer cette marque qu’on pense pourtant indélébile. Dans Pozivi u stranu, nous sentons un groupe à fleur de peau, qui parvient également à nous délivrer de l’amour, d’une façon touchante. En exaltant chez nous non pas un esprit patriotique, mais un je-ne-sais-quoi d’universel, un peu comme s’il nous tendait la main pour que nous communiions ensemble, tous ensemble, toute la planète.
Nous trouvons, dans sa musique, ce petit truc qui dépasse toutes les frontières. Il n’y a étrangement pas de barrage de la langue (elle est ici musicale, forte, émotionnelle, ressemble souvent à un hymne et dégage aussi une pureté qui fait que nous nous y accrochons d’emblée), pas d’appartenance à un style musical non plus. Bien que le groupe nous propose un rock indépendant de très belle facture, il se déplace allègrement, et avec une égale réussite, sur tout le spectre de celui-ci.
Pop rock (Ogledalo je zcralo, Dodol…), post punk (Plan), agrémenté parfois d’effets électro, presque techno (Hangar), avec des attaques parfois à la limite entre punk et metal (Hrast), esprit année 80 et années 90, et années 2000/2010, il parvient néanmoins à rester d’une cohérence à toute épreuve, avec un son homogène qui ne donne pas la sensation d’être en présence d’un fourre-tout un peu foutraque.
Et les traditions ?
Nous sentons sur la plupart des titres la marque de la tradition. Elle apparaît dans le chant, placé en avant, parfois proche d’être a capela. Cela replace un peu le groupe géographiquement parlant en éveillant l’âme slave qui fait partie de notre inconscient collectif (donc en partie biaisé par une part d’imaginaire). Les voix s’entremêlent, se décuplent par le jeu d’harmonies inspirées, ce qui donne à Koikoi une personnalité à part dans l’univers rock indépendant.
Ce premier album, nous vous le disons tout de suite, est une pure merveille. Peut-être un des meilleurs disques de cette année. Parce qu’il possède une âme à part. Et ça fait un bien fou.
LE titre de Pozivi u stranu.
Le morceau qui nous fait le plus d’effet est le morceau qui donne son nom à l’album. Pozivi u stranu commence comme du post punk, basse en avant, guitare électrique blanche, rythmique carrée, contenue, groove implacable. On pourrait tout à fait être en Angleterre, ou en Irlande (côté Fontaines D.C), mais le chant nous ramène directement vers les Balkans. Il est masculin, mais se voit, dès le milieu du premier couplet secondé par une voix féminine. Les choeurs nous électrisent, avec un jeu de superposition voix masculine/féminine qui nous parcourt l’échine et nous fait nous dire que « ouais, y a quelque chose de bon là ! »
Les guitares se doublent elles aussi après ce refrain, entrent dans une spirale qui nous fait tourner la tête, nous portent dans une transe extatique dont on ne ressort pas indemne. Puis grand moment « d’accalmie », dans une ambiance saturée de nappes électriques, tendance post apocalyptique (on pense vaguement à des interludes à la Godspeed you ! Black emperor) avant que la paire rythmique ne recommence à s’imposer à nous avec son groove démentiel, en ayant, est-ce juste une impression, augmenté sa cadence ? Toujours est-il que l’impact émotionnel est ici à son paroxysme, qu’il est dévastateur et qu’il synthétise un peu l’essence du groupe. Superbe !