[album] TAMAR APHEK, All bets are off // sanguin
All bets are off, debut album de Tamar Aphek, disponible chez Exag Records (Belgique), Kill Rock Stars (USA) et NaNa Disc (Israël)
Il y a des formes d’évidence. All bets are off en est une. Dès le premier titre nous sommes saisis à la gorge par un album qui ne fera aucune concession, et c’est très bien ainsi. En provenance de Tel Aviv, Tamar Aphek nous propose un album sanguin, charnel, puissant, séduisant, brut et instinctif, qui se démarque par son incroyable vitalité.
Pour ce faire, All bets are off se repose sur une voix, magnifique, sexy, sur une guitare saturée, sur une batterie complètement givrée, une basse au groove tellurique, le tout tissant un univers aux rythmiques complexes, à la croisée du blues, du rock, du jazz et des musiques expérimentales. Programme alléchant, d’autant que la production se veut au diapason.
Tamar Aphek.
C’est le nom de la chanteuse, compositrice, guitariste etc. Elle a baigné dans la musique, est passée par les étapes du conservatoire, par les voyages (ses parents étaient diplomates), notamment en Egypte où elle a saisi l’importance du rythme. Celui-ci est profondément ancré en elle et ressort de façon totalement personnelle, inimitable, quelque part entre le tribal et l’ancestral. Nous pourrions presque y voir des similitudes avec celui des Touaregs de Tinariwen, mais avec une dimension moins inspirée de tradition.
Le groove d’All bets are off est particulier, il sent le sable qui s’infiltre dans les vêtements, il sent la chaleur des pays Africains ou moyen-orientaux, il sent une présence qui est plus grande que nous. Il représente aussi la danse des serpents, ondulante, hypnotique, qui berce, qui pulse dans les autoroutes sanguines de notre corps. Impossible de résister, même si la surprise est de taille à la première écoute, tant la liberté de ton de Tamar Aphek nous dépasse. Nous n’y comprenons pas tout, pourtant tout cela nous semble si spontané, évident, que le charme agit comme un révélateur d’une mémoire depuis longtemps oubliée.
Jazz.
Nous y retrouvons une forme cousine du blues. Mis en avant par une production aride, la musique de Tamar Aphek s’impose d’elle-même. Enregistrée on ne sait pas comment, elle aussi se joue des modes, des standards, comme pour mieux nous séduire. La batterie possède une dimension presque divinatoire, comme émanant des cieux. Sèche, nerveuse, elle se dissocie de la basse, comme pour mieux la magnifier.
Cette rythmique en deux mouvements déroute, mais nourrit aussi l’idée que les deux entités peuvent être disjointes, proposer chacune leur identité comme pour mieux en former une troisième, unique, qui lui est propre. En ce sens, All bets are off s’approche du jazz, expérimental. Le chant de Tamar y participe. Puissant, racé, d’une incroyable douceur, il séduit sans détour. Ses lignes fuselées pénètrent l’air sans que celui-ci n’y oppose la moindre résistance. Lumière dans la nuit, dans la chaleur abrasive des pays désertiques, elle rassure, apaise, nous dit la vérité du monde, telle qu’elle la perçoit.
Parfois juste habillée d’une légère réverbération, de légers effets, c’est le plus souvent nue qu’elle abrite ses secrets. C’est l’élément sans doute le plus « classique », celui qui nous sert de bouée de sauvetage dans les courants parfois tortueux de cette musique animale. On s’y raccroche comme si notre vie en découlait. Nous plaçons notre attention sur elle, laissant, à la première écoute, la musique en arrière-plan, mais cette dernière en profite pour imprégner nos tissus et révéler, de manière perverse, ses poisons.
Danse.
Ceux-ci sont délicieux. Ils sont orientant, occidentaux, ils sont un peu à l’image d’un monde ouvert aux quatre vents. Elle se fiche des frontières, cette musique, elle se fiche d’une identité qui l’emprisonnerait. Elle est libre d’aller où bon lui semble, surtout dans les recoins les plus farfelus de notre conscience, de notre âme. Autrement dit, elle est un révélateur de ce qui nous entoure, autant de ce qui a fait que nous sommes encore présents sur cette planète. Un peu comme si elle était une mémoire, mémoire de la musique mais aussi mémoire des hommes.
Sans qu’elle ait besoin d’être dompté, elle ressort et nous mène dans un rodéo émotionnel. Peut-on dire qu’elle est belle ? Impossible de dire les choses ainsi. La beauté est toute relative. Disons simplement qu’elle est telle qu’elle doit l’être, tel qu’elle ne peut être contrainte à aucune règle. Et c’est ainsi qu’elle brille de mille feux, puisqu’elle est son de toujours, puisqu’elle est une danse primale, de celle qu’on ne maitrise pas puisqu’elle est innée. Toujours libre et sauvage.
À l’image de ce disque captivant.
LE titre de All bets are off.
Nous avons une préférence pour les titres longs de l’album, à savoir Drive, Too much information, Surprise et Beautiful confusion qui en peuplent ce qui d’habitude peut être le ventre mou d’un album. Pourquoi aimons-nous particulièrement ces titres-là ? Parce qu’ils dégagent une musique parfois tribale, hypnotique. Même si un morceau comme Russian winter nous fait de l’oeil par ses rythmes schizophrènes, même si As time goes by nous charme par sa relative simplicité jazz et acoustique, c’est tout de même Surprise qui ressort.
Quelque part, il nous fait penser à du Santana, quand il produisait un album comme Caravanserail. Les rythmiques/percussions nous propulse dans un entre-deux jazzy, tribal, psychédélique envoûtant, qui nous fait perdre nos repères sensoriels. Il tourbillonne ce titre, donne le vertige, semble naviguer d’une oreille à l’autre d’une façon à la fois linéaire et toute en courbe. La voix de Tamar Aphek est ensorcelante, la musique démoniaque. Il n’en faut pas plus pour nous ravir.