[ROMAN] SAMIRA EL AYACHI, femme des années 2010

samira el ayachi toutes les femmes sont occupées

Samira El Ayachi, Les femmes sont occupées, aux Éditions de L’aube.

Il y a eu pas mal de chambardements dans la cause des femmes ces dernières années. De l’affaire Weinstein, en partant de me too jusqu’à la récente prise de conscience des autorités quant aux violences faites aux femmes, nous voyons un frémissement dans une réévaluation des rapports homme-femme (il n’est jamais trop tard). Avec son roman Les femmes sont occupées, loin de surfer sur une quelconque notion de « mode », Samira El Ayachi évoque le quotidien d’une femme lambda, célibataire, combat de tous les jours contre une violence « invisible ».

L’histoire.

La narratrice se sépare de son conjoint. Nous ignorons, dans un premier temps, qui a dit stop, qui en a eu marre de l’autre. La narratrice se retrouve seule à élever son Petit-Chose, le père ayant fui la vie de celui-ci comme il a fui la séparation. La narratrice se retrouve également seule à devoir gérer sa carrière de femme de spectacle (elle est autrice de pièces de théâtre), sa thèse, et le regard des autres.

Voilà résumé succinctement l’histoire de ce roman au ton percutant, direct, sans fioritures. Le parti pris d’une narratrice qui utilise le tutoiement (même pour parler d’elle) nous renvoie à une certaine forme de proximité, pour ne pas dire qu’elle s’adresse à nous, uniquement à nous, comme pour nous faire prendre conscience de sa condition de femme en prise avec un fonctionnement archaïque, empirique, reléguant la femme à son rôle de mère ou à celui de ménagère.

Force et résilience.

Loin de sonner moralisateur, loin également de faire sonner la corde sensible par de grosses ficelles bien manipulées, Samira El Ayachi décrit la vie d’une femme ordinaire, cherchant à comprendre quel est le nouveau sens à donner à cette vie de célibataire retrouvée. Cette femme ne sait pas de quoi elle est capable, ignore ses qualités, mais se bat pour essayer de vivre comme elle l’entend.

Pourtant, son parcours est miné, de partout, de cette assistante sociale insistant fortement sur le fait qu’il faut que la narratrice trouve « un vrai » travail pour subvenir à ses besoins et à ceux de Petit-Chose, combien même le père est totalement absent (mais c’est normal, ce n’est pas à lui de gérer ce genre de soucis), à cet homme rencontré dans le train qui, à demi-mot, évoque qu’il recherche une femme pour s’occuper de ses enfants quand il est occupé, l’image de la femme est maltraitée, banalement (comme peut l’être la charge mentale quoi).

L’héroïne trouvera cependant en elle des ressources qu’elle ne soupçonnait pas, des ressources que quiconque ayant traversé ce type d’épreuve sait posséder une fois le recul nécessaire pris. Samira El Ayachi, dans cette évocation des possibles de tout un chacun, est totalement juste, pertinente.

Rythme des jours qui enfin s’éclaircissent.

Avec son écriture uppercut, d’où n’est pas exempte une pointe de poésie, ni une pointe d’humour plutôt caustique, Samira El Ayachi nous dessine un portrait de femme dans toutes ses contradictions, dans toutes ses forces, mais également ses faiblesses. Cette héroïne invisible, parce qu’une mère célibataire est invisible, traverse les tempêtes comme un capitaine de navire, prête à donner sa vie pour protéger son Petit-Chose.

L’autrice nous prend à partie, nous invite à réviser (si tel est le besoin) ou rectifier certaines déformations induites par un patriarcat institutionnel. Ses phrases courtes, rythmées, sont autant de coup de poing à l’abdomen que de missiles reçus en pleine caboche, insistant sur les détails de ces choses insignifiantes qui, une fois seule, la narratrice découvre. Parce que c’est bien de dénoncer un Weinstein, mais c’est encore mieux de pointer ces petits riens de l’existence qui tendent justement à la pourrir et à maintenir la femme dans un « rôle inférieur ». C’est particulièrement fin, et la plume de Samira El Ayachi sert merveilleusement bien ce propos.

Si parfois nous en prenons plein la gueule, nous autres hommes, cela n’est pas fait pour dire des hommes qu’ils sont tous des salauds, mais que certains oublient bien vite que les enfants, ça ne se fait pas tout seul. Avec ce troisième roman, que nous ne qualifierons pas de féministe, parce que bêtement tel n’est pas le cas, même si l’autrice prend faits et cause pour les femmes, Samira El Ayachi pointe les dysfonctionnements de notre société, sans plomber ni noircir le trait. Son acuité est tranchante, son écriture nous amenant à nous poser simplement la question du : et nous, comment nous comportons-nous ?

Preuve que Les femmes sont occupées est plutôt subtilement mené, que ça plaise à ces messieurs. Ou pas.

Un autre portrait de femme ? Imane

EXCLLU : le roman de Samira El Ayachi mis en musique, c’est dans B.O.L (Bande Originale de Livres dont voici le podcast

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