[ROMAN] Lina Zakhour, Imane, héroïne libanaise.

Imane Lina Zakhour roman chroniqueLina Zakhour, Imane (aux Éditions Hémisphères)

Imane est jeune, avocate, chrétienne et Libanaise. Depuis sa jeunesse, elle vit au rythme de la guerre sévissant dans son pays. Entre bombardements et clivages entre les différentes religions (18 communautés religieuses forment l’identité de ce pays), Imane grandit, vit, aime. Mais les déchirures du Liban, et celles de sa propre histoire, conduisent cette héroïne moderne vers une forme de résignation.

L’autrice.

Lina Zakhour est elle-même Libanaise et avocate. Il est dès lors difficile de voir en Imane autre chose qu’une projection fortement teintée d’autobiographie de sa génitrice. Pourtant, Lina Zakhour met les points sur les i dès l’entame de ce roman (page 5) :

“Ceci est un roman.
Même si certains faits sont bien vrais.
Même si des protagonistes ressemblent à s’y méprendre à des personnages réels.
Et même si le pays, et le monde, où se noue et se dénoue l’intrigue, imaginaire, existent bel et bien »

Voilà qui est clair. Néanmoins, s’il s’agit d’une invention, les faits sont là. L’histoire du pays qui est le sien à nourri l’imaginaire de Lina Zakhour, et ce roman en est fortement teinté. Imane est autant le pays lui-même qu’un personnage « humain » de cette fiction.

Imane.

Imane traverse son enfance sous les bombardements de la guerre civile du Liban (1975-1990), puis son adolescence et le début de sa vie d’adulte avec cet espoir fou que les choses peuvent changer lorsque la paix survient. Puis, à l’approche de la quarantaine, elle ressent une lassitude face au caractère immuable de certains comportements humains et politiques.

À travers son regard, d’abord innocent, plein de sève, puis de plus en plus résigné, nous découvrons un pays déchiré qui tente de s’extirper de son passé et de ses travers par la seule force de son espoir. Si Imane est croyante, sa vision s’avère très laïque, prône le droit à chacune des différentes communautés religieuses de pratiquer son culte en paix dans ce pays et d’y vivre en harmonie.

la vie amoureuse contrariée d’Imane, qui se déroule durant une grande partie de ce roman, l’amène au bord de la « tragique » acceptation que si tout le monde peut vivre en paix dans ce pays, il existera entre les confessions (et les êtres humains qui les pratiquent) un fossé infranchissable. Sa désillusion, sa lassitude (elle se ressent presque viscéralement dans les derniers chapitres de ce roman, qui génère lui-même une forme de lassitude face à l’immobilisme et la résignation de sa situation), seront d’autant plus dures à supporter que la démocratie naissante du pays s’enlise dans des schémas sclérosés (et souvent bien connus chez nous aussi).

Le Liban.

Imane est le Liban. Du moins d’une certaine frange de sa population. Ils sont tous deux des personnages pleins d’espoir quand cesse enfin la guerre. L’avenir, une fois les affrontements terminés, s’annonce plus doux et serein. La vie bat son plein, de soirées Beyrouthines en amours naissants. Ils sont modernes tous les deux, l’un dans son ouverture à l’esprit occidental, avec ses téléphones portables, cette frivolité de la jeunesse qui s’enivre de boites de nuit et de festivals, l’autre dans ses combats sociétaux et humains.

Mais très vite, les contradictions réapparaissent, rattrapant Imane et le Liban par le poids des traditions séculaires ou par les comportements humains, hélas, partout similaires. Le portrait que nous dresse Lina Zakhour de cette femme et de ce pays est tout sauf plombant. Nous devinons un pays au terreau fertile et à la richesse certaine dans son patrimoine humain, tout comme son héroïne porte en elle des combats sains et intelligents.

Si des regains de violence surgissent au travers d’attentats, la vie, elle, continu et déploie ses ailes dès les gravats retombés. Jeunes, Imane et la démocratie du Liban sont à l’intersection, stimulante (et parfois désespérante), de deux mondes, l’un moderne, l’autre conservateur et proche de ses racines. Cette dichotomie est subtilement mise en mot dans ce roman.

La plume.

L’écriture de l’autrice virevolte. Nous appréhendions, un peu, celle-ci avant d’entamer le roman. Lina Zakhour avait déjà écrit un ouvrage juridique (Moi et la loi au Liban, paru en 2013 aux Éditions Librairie Antoine) et nous avions une crainte que son roman soit très scolaire et lourd (comme peuvent l’être les textes de loi). Fort heureusement, il n’en est rien. Il n’y a dans Imane aucune lourdeur, les phrases sont souvent courtes, des fois pronominales, rythmées comme par mimétisme avec un désir de vie imminent.

Cette écriture nous transporte dans un lieu que nous ne connaissons qu’à travers les faits divers tragiques relatés par les journaux. La facette que nous décrit Lina Zakhour de son pays est certes ancrée dans cette triste réalité, mais également vibrant d’une énergie, de celle des survivants qui voient dans le jour suivant une promesse de bonheur. Nous découvrons alors le Liban sous un éclairage nouveau (et, nous en avons conscience, romancé) qui nous invite à espérer pour lui des lendemains radieux.

Ce roman s’avère au final une belle réussite. Si nous exceptons quelques coquilles en début de roman, Imane se tient bien tout au long de ses 241 pages. Si la lassitude nous gagne en fin de livre, c’est uniquement parce qu’elle gagne également son héroïne, d’où un exercice de style plutôt maîtrisé. Imane est un beau portrait de femme, sans pathos, profondément humain et actuel.

Nous espérons que cette autrice ne s’arrêtera pas en si bon chemin et que nous aurons, un jour ou l’autre, l’occasion de la retrouver au détour d’un nouveau roman.

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