CANCRE, Tout s’efface.
1er album disponible le 20 janvier chez Upton Park.
Après deux EP réussis et prometteurs (Face au vent et Etrangler), Cancre passe au format supérieur en proposant son premier album, Tout s’efface, aussi séduisant que musclé avec son rock poétique gorgé de vie.
Au briquet, l’étincelle, la trainée de poudre qui s’embrase, le souffre qui envahit les narines. Les mots ruissellent venus de nulle part, où plutôt d’outre-tranchée. L’histoire de ce trio pas franchement comme les autres, nous la connaissons. La découverte de textes d’un arrière-grand-oncle, rédigé pendant la Grande Guerre qui inspire ses descendants. Quelques retouches et surtout une musique posée dessus, puis faisant ensuite totalement partie de ce corps centenaire bicéphale. La magie opère. Le feu jaillit.
Ce feu, c’est celui de la vie, du respect, d’une profonde compréhension humaine, mais également cette certitude de voir dans les mots d’hier les maux d’aujourd’hui. L’histoire ne cesse de se répéter, c’est connu, mais celle de Cancre débute. Elle prend la forme d’un rock fiévreux, généreux mais aussi retenu, qui joue sur la tension et sur la délivrance. On pense à Noir Désir mais, contrairement à d’autres qui voulait sonner comme le groupe bordelais, le groupe breton, lui, impose sa différence. Une voix parfois proche de la rupture, portant en elle le poids de mille souffrances et d’un espoir infini, des instrumentations revêches mais qui gardent, toujours, un pied dans la douceur, et le tour est presque joué.
L’amour.
Parce qu’il faut aussi y mettre de l’âme, pour que cet hommage à l’aïeul, et à tous nos aïeux, puisse avoir lieu de façon pleine et entière. Alors le trio remanie les textes, y apporte leur patte, sans perdre de vue leur essence profonde. Elle est parfois désabusée, meurtrie, s’interroge sur le comment d’une telle bêtise (celle de la guerre et de cette fraternité entre les peuples que nous ne cessons de prendre soin de détruire), sur ceux que nous laissons derrière nous, mais elle porte aussi une réflexion sur la condition humaine, sur l’espoir qu’un jour tout aille enfin mieux.
Ces textes, même un siècle après, trouvent un écho dans notre présent. Certes, la guerre n’a plus lieu sur notre territoire, elle s’est délocalisée, mais les tenants et aboutissants restent les mêmes. On se doit de réagir et les artistes que sont les trois membres de Cancre saisissent la plume, les instruments pour le faire. Ils nous embarquent d’un seul coup dans leur univers sombre mais pourtant toujours éclairé par cette étoile incandescente qui fait la vie.
Il est question d’amour, de douleur. Il est aussi question de compréhension, de ce qui nous entoure, de ce qui nous anime. En musique, l’impact s’avère hautement émotionnel. Impossible en effet de rester totalement de marbre, impossible même de ne pas voir la beauté qui réside dans ce mélange d’électricité et d’organique. Les tripes à l’air, Cancre déboule et, contrairement à ce nom d’album, Tout s’efface, perpétue, à sa manière, la mémoire des écrits d’hier, des sentiments et ressentiments d’hier.
Touchant.
Alors les instrumentations, rock, ou parfois pop rock, voire flirtant avec une certaine idée de la belle chanson française (toujours un peu rock), nous électrisent. Elles font rejaillir, au delà des images et des métaphores des textes, une sensation jamais connue mais pourtant inscrite dans nos gènes. Un goût de terre dans la bouche, le froid d’une tranchée, le fer du sang qui ruisselle sur un membre blessé et que l’on lèche pour savoir si elle est profonde, cette blessure, tout (re)surgit au détour d’un couplet.
Mais il y a aussi cette douceur qui irradie, car dans le malheur on doit se saisir parfois du beau pour ne pas sombrer. Alors on se raccroche à un souvenir, à un sourire, à ce qui fait battre le cœur du monde (l’amour), et l’on file toujours plus loin dans ces moments réconfortants d’un corps serré contre le notre , de ce baiser qui, un jour, s’est éternisé, sur un avenir qu’on espère, par nos sacrifices, plus serein. Cette ambivalence, loin de desservir le disque, le porte au contraire haut et loin, vers quelques sommets majestueux qui articulent l’album et lui donne corps.
Une réussite magistrale.
Ce premier album s’avère être une pure réussite, ce genre de disque que l’on vit animalement avant d’analyser pleinement toute la richesse de sa poésie. Il y a d’abord l’impression, le ressenti, puis vient ensuite le moment où tout se fait limpide dans notre esprit, où l’on comprend toutes les métaphores. A ce moment-là, nous avons le souffle coupé, parce que, tout bêtement, c’est la beauté, dans ce qu’elle a de plus noble, qui nous tombe dessus de tout son poids.
Tout s’efface, peut-être, mais la mémoire demeure, preuve en est avec ce disque. Cancre écrit progressivement les lignes d’un rock « historique » et poétique, qui fait du bien à l’âme et panse les plaies de nos coeurs. Un incontournable.
Patrick Béguinel