NAUDIN, Chant contre champ
Sortie le 21 octobre chez Art Disto.
Outre ces indéniables qualités d’écriture, ce premier album de Naudin (autrement connu sous le nom de Mathieu Loigerot, musicien fort d’une carrière dans le milieu du jazz) nous plonge dans une ambiance sépia, celle d’une pellicule usée jusqu’à la corde, celle d’une photo passée, celle d’une époque révolue fantasmée, celle des films de voyous et des 30 Glorieuses remis au goût du jour à la mode hip-hop old school. Avec ce premier LP en son nom propre, Naudin se la joue dandy rap au verbe et à l’image haut en couleur.
La première écoute de l’album attire l’oreille. Le titre qui l’ouvre (Potes) nous place d’emblée dans l’atmosphère du disque, une esthétique s’approchant, à quelques différences notables tout de même (moins jazzy notamment), à celle que l’on retrouve dans le ched d’oeuvre d’Oxmo Puccino, à savoir Lipopette Bar. Si Chant contre champ n’est pas à proprement parlé un album concept (quelques titres seulement sont liés entre eux par une thématique commune), il est la manifestation musicale d’une époque imaginée et romantisée par l’artiste. Avec cette référence à Lipopette Bar, forcément, on n’est pas loin de dire que Chant contre chant s’approche lui aussi du chef-d’oeuvre.
Flow imparable.
Là où moult rappeur d’aujourd’hui nous laisse de marbre par un flow dégueulasse, celui de Naudin est d’une limpidité absolue. Il se déroule sans heurt, même quand il monte dans les tours, et nous étourdit par sa précision. La voix rappelle la gouaille de certains acteurs des films noirs français des années 70, une référence ultra présente dans l’album (les clins d’oeil aux dialogues d’Audiard ou aux films de Melville sont bien présents). Elle apporte à elle seule une présence particulière à ce narrateur conteur, celle d’un passeur d’histoire, à même de plaire aux fans de rap old school comme à ceux de littérature.
Car ici, c’est l’écriture qui fait une grosse part du job et du charme de l’album. Et elle est multiple, car elle est autant instrumentale que purement textuelle. Histoire d’un gangster qui sort de prison, trahison, mais aussi plongées dans un univers passé et fantasmé sur fond de références d’aujourd’hui (« Macron à l’Elysée en 73 ben p’têt qu’il s’rait dans l’vrai« . La référence à Giscard élu à cette même époque fait mouche et dénonce mine de rien la politique d’aujourd’hui, avec élégance et un soupçon de foutage de gueule).
Il est aussi question d’ego trip mais à la mode du temps qui passe, quand un quadragénaire ne voit plus sa bite quand il pisse (Naudin ne va pas jusque là, mais l’idée y est), comme un clin d’oeil au rap bling bling sans âme, dénoncé ici par une prise de conscience de ce narrateur Naudin se livrant à cœur ouvert sur ses rêves avortés et sur celui qu’il ne sera plus. Pourtant, pas de véritable sinistrose, plus un pied de nez car l’âge possède aussi ses avantages.
Musicalement.
Mais l’écriture purement musicale n’a rien à envier à celle des textes. Ici, tout se joue dans l’orfèvrerie, dans cet art du détail qui fait que, mis à part ce phrasé rap, les compositions pourraient dater de ces fameuses années 70 en fil rouge dans l’album. De la pochette aux sons utilisés, tout sonne plus vrai que nature. Tout juste si nous n’entendons pas ce grésillement si caractéristique du diamant que l’on pose sur le vinyle.
Une telle précision éveille forcément un imaginaire d’une grande richesse, mais aussi d’une grande portée symbolique. Nous pourrions croire qu’une telle empreinte écrase la personnalité du narrateur, mais ce n’est pas le cas. En effet, malgré les références criantes, Naudin impose son rythme, sa cadence, son flow, son élégance également. Tout s’ajuste à la perfection, comme par magie, ou par la grâce d’un tetris d’avant-garde.
Rien n’est laissé au hasard, ni les arrangements, ni les mélodies. Ici, on sent la passion pour une musique qui n’était pas encore née (le rap est né fin des années 70 à New York, enfin à peu de chose près concernant la date), nous sentons plus largement une vraie passion pour la musique bien faite, comme seuls les compositeurs de musique de film savent le faire. Ceux-ci possède le pouvoir de faire parler un instrumental à tel point qu’un film muet serait bavard comme un Fabrice Luchini sous ecstasy. Naudin parvient à rendre sa musique pipelette (mais qui ne parle jamais pour ne rien dire), comme si elle témoignait d’un passé flamboyant, notes et portées qu’il agrémente des siennes paroles, pleines de modernité et d’une lucidité perçante.
Un autre monde.
Ainsi, nous entrons dans un autre monde. Il ne faut pas chercher à résister, tout se fait sans forcer. Mieux encore, on a envie, nous aussi, d’explorer cet ailleurs fantasmé, le voir avec les yeux de Naudin, même dans ces mauvais aspects (ceux, par exemple, d’être un acteur de figuration). Qu’importe, tout ici brille de mille feux aujourd’hui éteints, mais dont l’artiste fait briller les chromes avec un savoir-faire irréprochable.
Jamais Chant contre champ ne vire à l’hommage obséquieux ou sans discernement, jamais, non plus, il n’en fait trop. C’est ce sens de la mesure qui fait que l’on accroche avec l’homme, mais aussi avec son pays imaginaire. Car ici, tout n’est qu’invention, celle d’un esprit amoureux d’une époque et qui lui dédie un album d’amour pur et généreux. Tout ceci pour dire que, simplement, le disque est beau, qu’il est un voyage dans le temps, et qu’on y retourne avec une frénésie de toxicomane. Car là-bas, même au milieu des tours qui ont rasé les dancings, il y a une vie qui bat son plein. Et que, simplement, on veut être de la fête.
LE titre de Chant contre champ
Retour vers le passé est une plongée dans un monde fantasmé, celui des années 70, un monde où Naudin, qui s’exprime avec un romantisme forcené, dit qu’il aimerait se réfugier, parce qu’il a l’impression d’être en phase avec ce monde qu’il n’a pas connu qu’avec celui d’aujourd’hui. Peut-être, sûrement, qu’il est né dans le bon corps mais pas à la bonne époque. La musique, dégageant une dramaturgie poignante, porté par une ligne de basse envoûtante, participe à cet élan de Naudin, et du nôtre, à vouloir découvrir ce monde depuis 50 ans éteint.
Référence au film Retour vers le futur, le narrateur se propulse dans ce monde qu’il a toujours rêvé et est émerveillé par ce qu’il est réellement. Qui n’a jamais rêvé de ça, de pouvoir intégrer une époque passée qui le fait rêver ? Naudin, avec ce titre magnifique, et avec cet album qui l’est tout autant, l’a fait.
lien utile : https://www.facebook.com/Naudin.music
Interview de Naudin.
Nous avons posé quelques questions à Naudin qui s’est livré sur son album et ses inspirations.
Patrick Béguinel