chronique roman, nouvelles, récit
ABD AL MALIK, La guerre des banlieues n’aura pas lieu…
…et Méchantes blessures.
Si nous connaissons principalement Abd Al Malik pour ses talents de rappeur/slammeur, bref de musicien auteur-compositeur aux textes léchés et porteurs de messages et d’histoires, nous connaissons en revanche moins sa face purement auteur. Pourtant, possédant une licence de lettres classiques et de philosophie, il est armé face au travail d’écriture au long cours, frémissement esquissé avec ses albums trouvant une forme de complétude avec ses romans et/ou récits.
Après 3 albums avec NAP (New African Poet), Abd Al malik se lance en solo. Son premier album Le face à face des cœurs, se referme avec un titre nommé Que Dieu Bénisse La France qui trouve écho avec son premier livre, Qu’Allah Bénisse La France, qui sort simultanément. On est en 2004 et sa carrière littéraire débute avec le prix Laurence-Trân (en Belgique).
En 2010 sort son essai, sous forme de récit, La guerre des banlieues n’aura pas lieu (Points), ouvrage une nouvelle fois récompensé, cette fois-ci par le prix Edgar Faure du livre politique. Méchantes blessures, sorti chez Plon, est son premier véritable roman (mais les frontières sont minces et floues entre essai, pensée philosophique et poésie, nous y reviendrons), sorti en 2019. Nous nous penchons sur ces deux ouvrages possédant pas mal de points communs et surtout une écriture assez unique.
Liberté de ton.
En effet, Abd Al Malik ne suit pas les diktats imposés qui veulent qu’un roman soit purement romanesque, qu’un essai soit purement théorique. Il insuffle dans ces deux livres une part à peine masquée d’autobiographie (son parcours spirituel et religieux en étant un axe, son passé de banlieusard, ou de type de cité, en étant un autre), de pensées philosophiques, de considérations sociales et politiques, le tout avec une écriture à la fois fluide et imagée, puissante dans ces propos et son intelligence, ne prenant jamais son lecteur pour un idiot.
Ainsi, les livres se dévorent littéralement. Les phrases possèdent ce rythme musical que nous lui connaissons bien, un flow intense, un souffle parfois épique, une spiritualité suintant littéralement de ses propos et idées. Mais attention : qui dit spiritualité ne dit pas forcément religion car, même s’il évoque le soufisme (branche de la religion musulmane qu’il a embrassé à 16 ans, branche tolérante et pleine d’humanisme), il donne au lecteur les clefs pour ne pas rester focalisé sur cette seule dimension religieuse. Pour lui, ou du moins pour ses personnages, il faut que les hommes et les femmes trouvent (ou retrouvent) une spiritualité leur permettant de vivre dans les meilleures conditions, celles qui leur ressemblent profondément.
Les chapitres se suivent et ne se ressemblent pas. Il n’y a donc pas de linéarité téléphonée même si Méchantes blessures est un peu plus linéaire que La guerre des banlieues n’aura pas lieue), mais des brusques changements de point de vue, de mode d’expression, ou des interludes philosophiques qui viennent, un peu comme des didacticiels, apporter un éclairage passé ou à venir dans le livre. Si l’effet surprend au début, nous finissons par les attendre car ils donnent à la fois du rythme et un caractère inattendu aux livres. C’est plutôt bien joué, nous ne perdons jamais la trame de vue, ni où veut nous conduire l’auteur, preuve que tout ceci est parfaitement exécuté.
Les guerre des banlieues n’aura pas lieu.
Bien qu’il s’agisse, sur le papier, d’un récit (voire d’un essai maquillé en récit), ce livre se lit également comme un roman. Nous y retrouvons un homme, Peggy, passé par la case prison après un passé de délinquant dans une cité strasbourgeoise. Ce passage lui a permis de comprendre ce qu’il pressentait sur la vie qu’il menait, sa vacuité, le mal qu’il produisait, même si ces réflexions lui démontrent bien qu’il n’avait pas vraiment le choix de se lancer dans la carrière, certes hautement rémunérée, de dealer (c’est un des passages forts du livre, qui tourne la caméra des médias pour la placer du point de vue des habitants de la cité). Converti à l’islam, il se demande pourquoi les hommes cherchent tant à se détruire mutuellement.
La découverte du soufisme lui permet de reprendre pied avec une spiritualité forte, un enseignement de valeurs puissantes, mais toujours orientées du bon côté de la balance, là où il aurait sombrer dans un extrémisme nauséabond. Non seulement ce passage nous dédiabolise cette religion, mais elle montre aussi que la prison a un effet bénéfique sur une partie des personnes incarcérées, faits qui ne sont pas si évidents à comprendre lorsque les faits divers et le sensationnalisme, choux gras des médias en rotation continue, nous sont rabâchés à longueur de temps.
Fort, direct, humain, ce récit ou essai romanesque, ne manque pas sa cible, ne se veut en aucune façon moralisateur ou prêcheur d’une seule et unique parole, mais permet au contraire à notre regard de s’allumer en stimulant nos bons côtés plutôt que les mauvais. Ce livre, plein d’intelligence, nous montre aussi que plutôt que de crier au loup, il vaut mieux prendre le temps d’expliquer les choses, d’éduquer, plutôt que d’imposer une vision par la force ou la punition.
Méchantes blessures.
Un rappeur, en perte de repères, accepte de quitter Paris pour New York, dans l’espoir d’écrire un livre. Une fois sur place, il fait la connaissance de Rufus, star du rap US, un gangster menacé de mort. La femme de ce rappeur le rejoint dans son hôtel et lui annonce, au bout de 11 ans de vie commune, et zéro enfant au bout du compte, de le quitter. K.O, Kamil (c’est le nom du rappeur) se laisse porter et sort avec Rufus. Alors qu’ils sont sur le point d’entrer dans un club de strip-tease, les types qui avaient juré de faire la peau du gangsta déboulent et ouvrent le feu. Rufus et Kamill meurt.
Et puis, Kamil ressuscite après son enterrement. Sa femme, qui l’avait quitté dans sa vie précédente, lui annonce qu’elle est enceinte. Tout repart, et Kamil écrit son livre.
Ce roman mêle une nouvelle fois des thématiques chères à Abd Al Malik, notamment la spiritualité, la violence sous-jacente du monde, en y incorporant en plus cette notion de paternité. L’écriture s’avère, comme indiqué ci-dessus, plus linéaire que sur La guerre des banlieues n’aura pas lieu, suit un cheminement logique qui trouve une épaisseur, une nouvelle fois, avec les valeurs d’humanité de l’auteur. Si une légère sensation de redite s’y imprime, de par les idées convergentes, le format roman lui permet plus de facéties, notamment orienté autour de son personnage principal (mais aussi des seconds tout aussi emblématiques).
Jamais moralisateur.
Plus philosophique, cet ouvrage ne manque pas, une nouvelle fois, de nous faire réfléchir, notamment sur ces éléments qui manquent à notre vie, sans que ce manque ne soit matériel ou superficiel comme peuvent l’être les réseaux sociaux. Une nouvelle fois, la force d’Abd Al Malik ressort de ce qu’il n’impose jamais, invitant le lecteur à comprendre ses pistes de réflexion et non à lui mâcher le travail. Nous en sortons grandis, tout comme nous supposons que lui-même gagne en lucidité et en précision sur ses croyances.
Si dans ces deux livres nous sentons des points de départ chargés de spleen, de mélancolie, voire d’un certain fatalisme, la roue tourne au fil des pages qui défilent. Si ces deux ouvrages ne se terminent pas sur un franc happy end, l’optimisme reste de rigueur, tant la foi de l’auteur en ce qu’il y a de bon dans l’Homme transparaît. Jamais crédule néanmoins, jamais naïf non plus, il démontre simplement que l’on gagne toujours à changer l’angle de sa caméra avant de juger, trop facilement, autrui. Un précepte qu’il conviendrait que nos politiques (jamais épargnés dans ces livres) remettent un peu au goût du jour.
Patrick Beguinel
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