ANDRÉ LE MAGNIFIQUE
Un médiéval fantaisiste au Théâtre des Salinières
Écrite, mise en scène et jouée, lors de sa création en 1997, par Isabelle Candelier, Loïs Houdré, Patrick Ligardes, Denis Podalydès et Michel Vuillermoz, « André le magnifique » a fait remporter, en 1998, cinq Molières à son équipe et a fait l’objet d’une adaptation au cinéma en 2000, sous la réalisation d’Emmanuel Silvestre et de Thibault Staib.
L’histoire en quelques mots
Dans le théâtre de Vigoulet, petit village du sud-ouest de la France, Alexis Ader (Jean MOURIERE) œuvre pour faire renaître une activité culturelle. Il écrit une pièce relatant l’histoire de Vigoulet et du chevalier Sainte-Germaine, son fondateur ; pièce qu’il a bien l’intention de mettre en scène. Alexis fait venir de Paris Jean-Pascal Faix (Renaud CALVET), un comédien professionnel qu’il paie généreusement pour interpréter le rôle principal. Pour concrétiser son projet, il reçoit de l’aide de quelques personnages hauts en couleur.

André (Alexis PLAIRE) et Norbert (Franck BEVILACQUA)
Tout d’abord, Janine (Sophie DANINO), son épouse, qui doit interpréter le rôle de la femme du chevalier. À leurs côtés, Norbert (Franck BEVILACQUA), employé municipal, engagé comme homme à tout faire (et même à jouer !). Et enfin, André Lagachigue (Alexis PLAIRE), jardinier municipal, promu pour l’occasion gardien du théâtre et souffleur. Si André donne son nom à la pièce, on peut aisément en deviner les raisons : d’emblée, cet homme étrange, ayant tout de l’idiot du village mais capable de se transformer en véritable Phileas Fogg lorsqu’il s’agit de calculer les délais entre les correspondances des bus et des trains desservant les gares avoisinantes, est doté d’une étrange mémoire et retient l’intégralité de la pièce sans s’en étonner. Et ce personnage est superbement interprété par Alexis PLAIRE qui, dès son entrée en scène, provoque les rires.
Un cadre rural appréciable
Quel plaisir d’entendre des comédiens jouer avec l’accent du sud, là où les conservatoires incitent à gommer les particularismes régionaux au profit d’un théâtre « sans accent »… Car non, le théâtre n’est pas une exclusivité parisienne, et c’est le parti que prend cette pièce. Ces personnages se battent pour faire revivre le théâtre dans leur village. Les rideaux coincent, la porte des toilettes reste bloquée une fois sur deux, les éclairages sont capricieux… On peut imaginer le sacrifice financier qu’a représenté pour Alexis Adler le recrutement de Jean-Pascal Faix.

Janine (Sophie DANINO) et Alexis Ader (Jean MOURIERE)
Dès l’arrivée du comédien parisien, un décalage frappant apparaît. D’un côté, la générosité du couple Adler, acceptant de dormir sur le canapé pour laisser leur chambre à M. Faix. De l’autre, un Jean-Pascal Faix étonné qu’aucun taxi ne l’ait attendu en gare d’Auch pour l’amener à sa correspondance, visiblement habitué à ce que les moindres détails soient gérés pour lui, paresseux et en quête d’un confort réglé comme du papier à musique. Et tandis qu’André dort sur le plateau du théâtre, c’est Jean-Pascal qui se plaint constamment. Une confrontation entre deux manières de pratiquer et d’aimer le théâtre se dessine alors, progressivement. À un Jean-Pascal Faix usant de citations anglaises, Alexis Ader répond en occitan.
Des Jean-Pascal Faix, nul besoin d’aller jusqu’à Paris pour en rencontrer : n’importe quelle métropole peut faire l’affaire. Cet homme, affublé d’une grande écharpe, bien campé sur ses deux jambes, droit comme un I, ce « vieux de la vieille » enchaînant les anecdotes dans lesquelles il raconte comment il a côtoyé Untel ou Untel, tutoyant les autres avec une familiarité condescendante, ne cesse de donner des conseils de théâtre clichés, prônant l’importance du silence dans la dramaturgie alors qu’il n’y a pas plus bavard que lui.
C’est un véritable plaisir que de voir ce cliché ambulant, interprété avec justesse par Renaud CALVET, déblatérer tout un tas d’inepties, prônant à quel point il « aime l’amateurisme » car « dans amateur il y a amour ». Il est plein de certitudes et d’idées reçues : « « Le théâtre, c’est je te parle, tu me réponds. » Mais plus il prône son investissement total pour la cause théâtrale, plus il devient tyrannique et impose sa vision du spectacle et du jeu. On comprend rapidement que c’est un Tartuffe de notre époque, semant la zizanie autour de lui, porteur d’une foi théâtrale hypocrite. Gros poisson dans une petite mare, superficiel, pervers par moments, faussement amical et prétentieux, il sera aisé d’y reconnaître quelques connaissances.
Une ode au théâtre
Dans un monde où il y a un tel mépris de l’intelligentsia envers le théâtre de « divertissement », auquel est préféré le théâtre institutionnel, dans un monde qui aseptise le théâtre, ce type de spectacle donne du baume au cœur. Les acteurs ont un jeu haut en couleur, agréable et grisant, loin de la grise sobriété d’un théâtre affairiste de moins en moins préoccupé… de théâtre. Ces deux univers, par leur confrontation, interrogent notre rapport au spectacle, ce qui nous anime, que l’on soit artiste ou dans le public. C’est également une belle immersion dans le travail de création d’une œuvre, jalonné de questionnements de mise en scène. Coulisses apparentes, on aperçoit les rouages des différents métiers du théâtre.
Et si la chute est assez aisée à voir venir, on ne s’en préoccupe guère ; car ici le Verbe est roi. Parfois, le jeu est hors scène : on entend crier un personnage en voix off alors que le plateau est vide. Il règne dans cette pièce un joyeux désordre, subtilement orchestré par Jean MOURIERE à la mise en scène. Dans cette symphonie, chaque personnage, à tour de rôle, possède son solo. Janine (Sophie DANINO), comédienne amatrice, débite sa tirade à une vitesse digne de la « Valse à mille temps » de Brel tout en accompagnant sa récitation d’une impressionnante flopée de gestes aux accents de tecktonik, tandis que Jean-Pascal Faix (Renaud CALVET) cabotine avec générosité, déclamant la tête haute, à la manière d’un grand tragédien d’une autre époque. Norbert (Franck BEVILACQUA) provoque l’hilarité alors qu’il s’essaye aux joies de la figuration. Le texte, subtil, intelligent, donne de la matière à chaque personnage, et les comédien.ne.s le lui rendent bien : le plaisir de jouer et la complicité entre les artistes sont manifestes.
Claire Poirson.

Crédit photo : Chris Seyner
Claire Poirson est metteuse en scène de la compagnie L’Extra théâtre (Bordeaux), directrice de la collection Entr’Actes (théâtre) aux éditions Ex Aequo, professeuse d’écriture théâtrale, autrice (notamment du recueil Le chemin des étoiles) et comédienne. Aimant travailler la synergie entre les disciplines artistiques, elle pratique la flûte traversière, les arts martiaux, le cirque, la peinture, le dessin et, d’un naturel curieux, elle aime visiter différentes formes artistiques et esthétiques.