[ ROMAN ] STEFAN SWEIG Le joueur d’échecs

stefan sweig le joueur d'échecs

Stefan Sweig, Le joueur d’échecs, paru chez Le livre de poche

La littérature possède cet avantage d’être éternelle. Oui, les paroles s’envolent tandis que les écrits restent. Dans le cas présent, il ne s’agit pas d’une réédition, il s’agit juste d’un livre de poche dont l’histoire a été rédigée entre 1941 et 1942, quelques semaines à peine avant le suicide de son auteur (et de son épouse). Cette histoire, c’est Le joueur d’échecs, de Stefan Zweig (le livre de poche 7309).

Un presque roman

Il ne s’agit pas là d’un roman à proprement parlé, pas assez long pour cela. Nous le notons car Stefan Sweig disait lui-même ceci : « il n’y a pas grand-chose à dire de moi. J’ai écrit une nouvelle dans mon malheureux format favori, trop longue pour un journal et un magazine, trop courte pour un livre, trop abstraite pour le grand public, trop bizarre par son sujet ». Voilà qui a le mérite d’être clair, limpide.

De quoi parle le bouquin ? Sur un paquebot le conduisant en Argentine, le narrateur entend dire que le champion du monde d’échec s’y trouve. Celui-ci, presque un illettré, un pauvre paysan hongrois du nom de Czentovic, possède un profil particulier qui attire l’attention du narrateur, qui décide d’essayer de le cerner. Comment peut-on être à la fois champion du monde du célèbre jeu de stratégie et à peine savoir lire et écrire. Alors, quoi de mieux pour se faire qu’essayer d’attirer Czentovic sur son propre domaine, à savoir les échecs, le champion refusant quasiment tout contact non rémunéré avec les autres passagers de la croisière. Ayant obtenu cette partie, que le narrateur et d’autres joueurs avec qui il forme une coalition perd, un autre homme intervient lors de la revanche et réalise, en quelques coups bien placés, match nul, en prévisualisant toutes les attaques à venir du champion. Comment est-ce possible et qui est cet homme qui se dit piètre joueur d’échecs?

Un prétexte.

Il convient d’ores et déjà de préciser que les échecs ne sont qu’un prétexte à tirer le portrait de deux individus antagonistes. L’un est presque demeuré, autiste, l’autre plus volubile, ouvert au dialogue et à raconter sa stupéfiante histoire. Mais le fou n’est pas celui que l’on croit de prime abord, cela est bien plus difficile et plus tordu que nous l’imaginons. Il n’est pas tant question dans ce livre que du jeu en lui-même mais de la folie et des persécutions nazies.

Ce livre est absolument captivant, et n’est en rien une plaidoirie pour le jeu de stratégie. Si nous exceptons quelques termes techniques propres à ce jeu (pat, mat, roque), tout est absolument compréhensible car amené avec fluidité. L’écriture de Sweig est d’une limpidité exceptionnelle, d’une simplicité désarmante et d’une modernité très actuelle.

Rien ne laisse à penser que cette nouvelle se déroule (et fut écrite) à cette époque trouble de l’Histoire de l’humanité, du moins en termes d’écriture pure, car le « raffinement » en matière de tortures par les nazis y est évoqué avec une lucidité terrifiante. La guerre n’était alors pas finie, mais Sweig, affolé par la montée du nazisme, lui qui était Autrichien, avait quitté son pays, et l’Europe, pour se réfugier au Brésil.

Glissement vers l’obsession

Alors, dans cette nouvelle, tout n’est-il qu’imagination ou bien s’agit-il d’événements qui lui sont revenus aux oreilles ? Impossible à déterminer mais là n’est pas le but car l’auteur nous amène à décrypter la folie sous un angle terriblement réaliste. Si le thème du livre est bien celui-ci, la  nouvelle se veut percutante, emplie d’une humanité fébrile, au-delà du traumatisme vécu par l’un des « héros » de cette histoire plus que crédible, au point que nous nous demandons où s’arrête la fiction et où commence le monde réel.

Nous ne saurions trop vous conseiller de lire cette courte histoire d’à peine une centaine de pages parce qu’il s’agit là d’un véritable plaisir de lecture. Le vocabulaire, la richesse des descriptions, son contenu en lui-même et la grâce de son écriture en font un livre passionnant, vibrant, et prouve qu’un grand livre peu ne comporter que 84 pages.

Une autre chronique de livre ? Un homme à sa fenêtre.

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