Olivia Ruiz, l’exil en héritage

Olivia RuizLe Grand Quevilly

Olivia Ruiz, Le Grand Quevilly. Photo Pat

Le très bel auditorium du théâtre Charles Dullin à Grand-Quevilly, près de Rouen, accueillait ce mardi 15 mars la chanteuse Olivia Ruiz pour un spectacle dédié à l’exil.

Il est 20 heures passées juste de quelques minutes. Le morceau dédié à l’exil El silencio, du rappeur Toan, résonne dans une salle silencieuse plongée dans le noir.
Et la voilà qui arrive côté cour (à droite), à pas de loup, tout de noir vêtue, pour chanter dans la pénombre El Ejercito del Ebro, une chanson populaire espagnole, née durant la Guerre d’indépendance espagnole au début du XIXème siècle. Le ton est grave, les lumières en clair-obscur laissent deviner un orchestre acoustique sur la scène. Bientôt, un message s’affiche en grand sur l’écran de fonds de scène : Je veux savoir
Le nouveau spectacle d’Olivia Ruiz est un savant mélange de titres issus de son répertoire personnel et de chansons traditionnelles. Toutes ont un lien avec elle, ou plutôt avec son histoire fantasmée d’exilée.

Dans la famille, c’est bouches cousues.

Fantasmée, car comme le nom du spectacle l’indique, dans la famille, l’exil, c’est bouches cousues.
Dans son livre La commode aux tiroirs de couleurs, elle a déjà romancé ce que ses aïeux n’ont jamais voulu lui raconter. À savoir la guerre d’Espagne, et la fuite vers une terre d’accueil, Marseillette, un petit village en Occitanie, près de Carcassonne. Si des images en noir et blanc de cette guerre vont durant le spectacle défiler parfois derrière la chanteuse, cela n’a rien d’un hasard.
Olivia Ruiz n’est pourtant pas une exilée mais la recherche de ses racines est visiblement un moteur pour elle.

Porque te vas lance véritablement le spectacle

D’où ce choix assumé de revisiter le répertoire traditionnel Espagnol, un répertoire révolutionnaire mais aussi cinématographique. Justement, Porque te vas, la chanson du film Crià Cuervos de Carlos Saura lance véritablement le concert en mettant Olivia Ruiz en pleine lumière.
Chignon serré sur la tête, veste noire, vite enlevée, sur un bustier noir, la belle brune dévoile son caractère sanguin dans une mise en scène soignée.
Car ce spectacle est bien plus qu’un concert. Composé de 16 chansons et autant de tableaux, Bouches cousues est une très belle machine, particulièrement soignée, tant dans sa mise en scène que dans sa mise en lumière. Jérémy Lippman, connu pour son travail avec NTM, s’est occupé de mettre en valeur ce spectacle écrit par Olivia Ruiz.

Olivia Ruiz, Le Grand Quevilly Photo Pat

De drôles d’instruments

Côté musicien, la chanteuse a choisi la continuité. Frank Marty, le multiinstrumentiste est toujours fidèle au poste pour jouer d’instruments particulièrement raffinés, comme le nyckelharpa, un instrument à cordes pincées, le tiple, une petite guitare sud-américaine, du charango ou encore de la scie musicale. Il a également à sa disposition une harpe de verre qu’il s’évertue avec bonheur à faire chanter. David Hadjaj s’occupe du clavier et des cuivres, Vincent David de la guitare et Mathieu Denis de la contrebasse, avec ou sans archer.
Forte de cette assise musicale particulièrement méticuleuse, Olivia déroule les chansons. Avant Non-dits, un titre écrit il y a bien longtemps avec la complicité de Christian Olivier, le chanteur des Têtes raides, un véritable leitmotiv du spectacle, elle confie : « Je veux savoir d’où je viens, confie la chanteuse. Pour savoir où je vais. »

Olivia veut savoir, veut connaître son histoire et comme elle fait remarquer, ce tour de chant prend encore plus de sens alors que 2,5 millions de réfugiés s’apprêtent à investir l’Europe.

2,5 millions de réfugiés s’apprêtent à investir l’Europe

Pour eux aussi, il faut fuir et elle espère qu’ils ne seront pas accueillis comme l’ont été les Espagnols réfugiés en France durant la guerre d’Espagne…
Si les chansons traditionnelles forment l’essentiel du show, Olivia Ruiz pioche aussi dans son répertoire quelques titres emblématiques (Les météores, Le blanc du plafond, De toi à moi, …). L’occasion à chaque fois d’un nouveau décor. Il y a même une boule à facettes, histoire d’envoyer Olivia Ruiz au plus près des étoiles.

Et puis il y a les titres du répertoire espagnol, des chansons ibériques ou sud-américaines comme ce Piensa en mi. Et Olivia se rappelle comment il suffisait qu’une chanson en espagnol passe à la radio pour que les visages de ses grands-mères s’éclairent, à l’image de cette chanson, jouée dans le film Talons aiguilles  de Pedro Almodovar. Pour l’occasion, un voile aux couleurs rouge, jaune et vert vient filtrer le décor de scène.

Parfois, des citations s’affichent en fond de scène comme par exemple celle-ci signée Pablo Neruda : « Si vous n’escaladez pas de montagnes, vous ne pourrez jamais profiter de la vie ». Et Olivia insiste en rajoutant une autre citation, d’André Gide cette fois : « Il est extrêmement rare qu’une montagne soit abrupte des deux côtés. »

Olivia Ruiz, Le Grand Quevilly
Photo Pat

J’traine des pieds repris en chœur

Bien sûr, J’traine des pieds, prend une place toute particulière dans le cœur du public autant que dans celui d’Olivia. Totalement réarrangé, le premier tube de la chanteuse est joué en acoustique d’abord en Français avant de glisser doucement vers l’Espagnol, puis d’être finalement repris par la salle sous le regard enchanté d’Olivia.

Le concert se déroule sans temps morts. À chaque titre une nouvelle composition artistique. Sur De toi à moi, Olivia détache ses cheveux et esquisse quelques pas de danse, histoire de rappeler que Jean-Claude Gallotta l’a plusieurs fois dirigée avec bonheur.

Qu’elle chante, danse ou simplement parle, Olivia Ruiz reste magnétique, l’assistance est sous le charme et applaudit chaudement après chaque titre.
Six mètres, un titre cosigné par Allain Leprest, conclut la représentation alors qu’une bouche géante cousue par un rouge à lèvres rouge s’affiche en fond de scène.

Standing ovation et année bien chargée

Olivia et les siens saluent une première fois, c’est la standing ovation dans la salle.
Reste un dernier morceau, La malaguena, une chanson mexicaine du milieu du XXe siècle joué d’une manière un peu foutraque en acoustique, tous les musiciens étant regroupés sur le devant de scène, à quelques mètres seulement des premiers rangs.

Durant une heure et quinze minutes, Olivia Ruiz aura chanté debout, assise sur une enceinte, allongé en bord de scène, elle aura aussi dansé avec aisance pour offrir un spectacle total bien parti pour figurer au sommet de ce qui se fera de mieux en cette année 2022.
D’ailleurs, 2022 pourrait bien être l’année d’Olivia Ruiz.

La chanteuse n’a pas chômé durant la pandémie. Outre ce magnifique spectacle qui devrait être une nouvelle fois proposé en salle à l’automne prochain, elle a écrit son deuxième livre, Écoute la pluie tomber, à sortir le 11 mai et surtout elle s’est attachée à enregistrer un nouvel album, son 7é déjà. Bien qu’actuellement sans maison de disques, la musique reste pour Olivia Ruiz la principale source d’énergie.

Note du rédacteur : Le spectacle Bouches cousues est disponible en replay sur le site de France 4 jusqu’au 11 juin 2022

PAT

patrick auffret

 

Ancien rédacteur en chef à Publihebdos, Patrick Auffret a également collaboré durant 20 ans avec le magazine Longueur d’Ondes. Il travaille régulièrement avec l’agence photo Dalle et ses clichés ont été publiées dans divers journaux nationaux (Le Monde, Les Inrockuptibles, Rock&Folk, …) et internationaux.
Il est aujourd’hui web-reporter pour Rock&Folk et président de l’association dédié au spectacle vivant Out of time.

 

 

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