SERGE MUSCAT Notes sur l’accélération continue et ses limites (2)
Nous dévoilons la deuxième partie de l’essai de notre auteur du mois Serge Muscat. Retrouvez la première partie ICI
L’augmentation progressive de la vitesse dans les loisirs
Avec la création des congés payés et de la semaine de 40 heures puis de 39 heures sont apparus les loisirs de masse. Ceux qui ne sont pas maîtres de leur emploi du temps, en subissant par exemple la contrainte de la pointeuse, ont vu dans les loisirs une façon de se « libérer » en gérant leur temps libre comme ils le souhaitaient, du moins le pensaient-ils. Si au début des congés payés la plupart des salariés utilisèrent ce temps libre pour profiter de la nature et ne rien faire, les patrons remirent bien vite cette population au travail sous une autre forme, par le biais de la consommation de masse et du tourisme. Et dans cette consommation bientôt effrénée nous voyons surgir la vitesse dans une multitude d’activités. De nombreux sports sont par exemple devenus friands de vitesses extrêmes comme la compétition automobile, le snowboard ou les records de skateboard. Mais la vitesse s’est également immiscée dans les rapports humains où chacun « surfe » dans des relations qui ne sont que superficielles, en favorisant les liens faibles comme diraient les sociologues. La vitesse a également pour conséquences de réduire les durées de tout un tas de choses avec, par exemple, l’invention du clip vidéo qui a été déclinée de diverses manières comme « ma thèse en 180 secondes », les flashs d’informations de plus en plus courts, etc.
Dans le tourisme, il devient possible de visiter des lieux successifs avec des durées de plus en plus courtes (un jour dans telle ville, un jour dans telle autre) dans une agitation extrême. Les parcs d’attraction drainent des populations importantes qui passent d’une activité à une autre très rapidement, sans même prendre conscience de cette frénésie. C’est que la vitesse est grisante et donne la sensation de se dépasser. Les loisirs se calquent sur les jeux de vitesse des grandes foires, où la vie doit être « une grande roue » ou un « train fantôme ».
L’intériorisation de la vitesse
Nous intériorisons le fait d’aller toujours plus vite, sans même nous en apercevoir. Ainsi les grandes villes sont-elles de plus en plus grouillantes de gens pressés qui prennent pour eux-mêmes par exemple les injonctions des publicités pour se dépêcher à faire tel voyage, à acheter tel produit, etc. Tout ce qui entoure la vie citadine est un appel généralisé à l’accélération. Et nous culpabilisons si nous ne pouvons pas suivre le rythme effréné que nous impose la post-modernité. La productivité toujours croissante du travail, avec des heures qui se réduisent, fait qu’il faut aller toujours plus vite. En réaction à ce phénomène, des groupes appellent à un ralentissement et à une décroissance. Car certains prennent conscience qu’il n’est plus possible de prolonger cette spirale de la vitesse qui semble sans fin. Déjà Paul Virilio tirait la sonnette d’alarme dans son ouvrage Ville panique (2) sur ce sujet.
Par ailleurs la multiplicité des écrans de télévision, des ordinateurs et des smartphones fait que nous vivons dans l’illusion d’une instantanéité toujours plus fluide et rapide. Nous faisons corps avec la vitesse, alors même que « tout nous dépasse ». La vie dans le temps court est facteur de dislocation de la société. Et pourtant tous les médias participent à cette célébration de l’instant. Tout, sans exception, est voué à se réduire dans des durées toujours plus courtes. Notre quotidien se télescope et les instants se fractionnent en d’autres instants plus brefs jusqu’à perdre la signification de notre existence.
Face à la dictature de l’instant, nombreux sont ceux qui souhaitent revenir à un ralentissement dans cette société qui s’emballe, alors même que la nature nous impose des limites. Tant que la Terre fera une rotation sur elle-même en une journée, nous ne pourrons pas indéfiniment tout accélérer jusqu’à la négation de notre principe d’être vivant.
(2) Cf. Paul Virilio, Ville panique, Paris, éd. Galilée, 2004.
Ce texte est publié avec l’aimable autorisation de Serge Muscat.
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