MARIE-PHILIPPE JONCHERAY La mécanique du désir (extrait) dernière partie

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Dernière partie du chapitre 38 du roman de notre autrice du mois.

Retrouvez les premières et deuxièmes parties ICI et ICI

Le pianiste solitaire joue quelques notes mélancoliques.

Jeff et Lisa finissent pas se disputer. Jeff ne veut pas d’une mondaine dans sa vie d’aventurier. Il ne croit pas que leurs deux vies puissent s’harmoniser. Ils sont trop différents. Il ne la désire pas assez. Blessée, elle s’en va. Elle disparaît. Jeff se retourne vers la fenêtre comme s’il en attendait quelque chose.

Silence, nuit, toutes les fenêtres sont éteintes. Tout le monde dort.

Soudain, un cri de femme, un bris de verre, d’où vient-il ?

Ensuite Jeff s’endort. La pluie le réveille. L’homme aux rosiers sort de chez lui une valise à la main. Il revient une heure plus tard, la valise semble vide. Il repart peu après avec la valise, revient et repart avec une femme. Jeff endormi ne les voit pas.

Le lendemain l’attention de Jeff se focalise sur la fenêtre de l’homme à la valise. Il n’est pas allé travailler et personne n’est venu voir sa femme qui a pourtant besoin de soins incessants. Jeff le voit emballer de papier journal une scie et une machette.

Le soir Lisa embrasse Jeff. Mais il est ailleurs. Que doit-elle faire pour attirer son attention ? Il lui explique qu’il est préoccupé par cette histoire. Un homme a fait disparaître sa femme. D’abord Lisa ne veut pas qu’il épie ses voisins, elle se fâche, son voyeurisme la dégoûte. Mais lorsqu’elle voit l’homme se tenir, satisfait, devant une énorme malle encordée, elle est convaincue qu’un drame se joue et décide de rentrer dans l’histoire de Jeff, animée du même désir que lui.

La nuit, en partant, Lisa regarde le nom de l’homme sur la boîte aux lettres, le communique à Jeff et exaltée, lui réclame une nouvelle mission.

Le lendemain matin, malgré des renseignements qui le contrarient, Jeff persiste à croire que l’homme s’est débarrassé de sa femme, il reste dans son film.

Le soir, la femme seule du rez-de-chaussée se fait belle, se maquille longuement, avec un soin infini tout en buvant beaucoup de whisky. Elle a besoin de courage. Lorsqu’elle est prête, elle sort, traverse la rue et s’attable au restaurant du coin, elle attend. Plus tard elle rentre accompagnée d’un homme grand, beau et jeune, plus jeune qu’elle. Elle a l’air heureuse, elle lui sert à boire et s’assoit sur le canapé à côté de lui. Elle est à peine assise qu’il la prend dans ses bras. Surprise, elle essaie de le repousser mais il est fort. Il veut l’embrasser, elle ne veut pas. Il insiste, il la force. Elle se débat furieusement. Elle réussit à se défaire de ses bras, l’admoneste et le chasse. Il claque la porte derrière lui. Seule, elle éclate en sanglots. Rares sont les désirs qui coïncident.

Lisa passe la nuit chez lui. Ils regardent, ils attendent le spectacle.

Les soupçons s’accumulent et la curiosité monte.

Pour continuer l’enquête, il faut aller chercher des indices et Jeff demande à Lisa d’entrer en scène. Elle accepte avec enthousiasme, elle n’a même pas peur. Elle quitte la pièce, elle quitte le hors-champ obscur et sous le regard de Jeff elle entre en action, entre dans le champ.

Elle est vive et efficace. Elle est audacieuse. Il ne la quitte pas des yeux, elle retient enfin toute son attention. Elle lui fait peur, il tremble pour elle.

Elle se met en danger sous le regard de l’homme qu’elle aime. Elle est dans son film maintenant. C’est elle qui provoque les péripéties, c’est elle qui le rend haletant, c’est elle qui fait progresser l’histoire.

Quand elle revient à l’appartement, elle bouillonne d’excitation, animée par l’action. Son visage a quitté la froideur du papier glacé, il la regarde subjugué, enfin amoureusement.

Puis elle repart, c’est elle qui décide maintenant, il est débordé par ses initiatives, il a peur pour elle, mais il est cloué à son siège.

Lisa va de plus en plus loin, ose de plus en plus. Elle grimpe à l’échelle de secours et avec une agilité étonnante, passe par la fenêtre ouverte chez l’homme. C’est une initiative folle. Elle explore l’appartement de l’homme aux rosiers. Elle fouille. Le temps passe, très vite et très lentement. Elle reste trop de temps, l’homme rentre, il la découvre. Jeff vibre pour elle et tremble de peur. L’homme est en colère, il la menace. Elle essaie de lui échapper mais il la saisit à bras le corps, elle est prise au piège de cet homme gigantesque. Jeff impuissant est réduit à l’empathie du spectateur. Surtout maintenant Jeff ne la quitte plus des yeux, il n’a d’yeux que pour elle, il ne vit que par ce regard qui les relie. Mais ce regard ne suffit plus. Jeff désire Lisa comme jamais il ne l’a désirée, impérieusement il la veut ici tout de suite auprès de lui, il veut sentir son corps, de chair et d’os, tout de suite contre lui, il ne peut plus vivre loin d’elle, il suffoque, il sue à grosses gouttes. Alors qu’il la voit, la regarde, la désire pour la première fois, elle risque de disparaître. Tout ce qu’il peut faire c’est espérer qu’elle s’en sorte et l’admirer comme une héroïne. Elle est trop belle et trop maline pour perdre la vie, pour perdre, pour perdre Jeff. C’est à ce moment précis que Lisa réussit à convaincre Jeff. Elle est la femme qu’il lui faut, c’est une évidence. Elle est la femme de son film, elle est la femme de sa vie. Son amour explose.

Lisa a enfin réussi à capter l’attention de l’homme qu’elle aime. Elle a su se faire aimer, en jouant un rôle, en jouant un rôle dans son film à lui, dans son monde à lui.

Enfin la police arrive et sauve Lisa.

Ensuite l’homme se précipite chez Jeff, met sa vie en danger, Jeff tombe par la fenêtre. Lisa tremble à son tour. Mais il ne meurt pas. Ils se retrouvent et ils s’aiment. C’est aussi certain pour Jeff à présent.

Ce texte, extrait du roman La mécanique du désir, est publié avec l’aimable autorisation de Marie-Philippe Joncheray.

© Marie-Philippe Joncheray – tous droits réservés, reproduction interdite.

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