[ROMAN] ARTHUR TERRIER, Chercher Kinski, par David Laurençon

arthur terrier chercher kinskiArthur Terrier, Chercher Kinski, premier roman d’un jeune auteur qui inaugure et lance la nouvelle collection « Littératures Contemporaines » de Conspiration éditions (disponible sur le site de l’éditeur, en librairie le 24/09)

L’auteur :

D’après ce que j’en sais et si j’ai bien compris, il a étudié les techniques et l’écriture scénaristiques ; il est passé par l’UQAM – Université du Québec à Montréal, où il a validé un certificat littéraire sans passer le moindre examen (un mystère) ; il a collaboré à la revue littéraire Le Shindig, ainsi qu’au webmagazine Beware ! Il a aussi écrit de nombreuses nouvelles fantastiques, gardées dans les tiroirs (deux ont tout de même été diffusées à l’époque sur Radio Nova), avant d’être repéré par Conspiration éditions pour qui il rédige la préface du Journal d’un curé de campagne, de Bernanos, réédité en début d’année

Il a pris le temps de travailler son style, de le faire mûrir. Il explique : « Le meilleur des entraînements, ce qui m’a fait le plus progresser, c’est d’avoir écrit de mauvais manuscrits. Les manuscrits que j’ai écrits avant, et qui ne verront jamais la lumière du jour, sont mon université à moi ». Pas mal. Je hasarde ceci, il a suivi avec bonheur, et illustré le précepte d’Edgar Poe, exhortant les jeunes auteurs à lire beaucoup, à écrire beaucoup et à publier peu.

L’auteur a les cheveux bleus. Un bleu légèrement nuancé, rapport au bleu officiel de la couverture des « Contemporains » de Conspiration Éditions. Arthur Terrier est-il un fétichiste ? Un original ? Peu importe évidemment, même si « les écrivains sont des êtres prédisposés à entrer dans des cliniques psychiatriques (…) Il semble que par leurs actions et par leurs gestes, ils s’infléchissent inconsciemment en direction de la clinique psychiatrique la plus proche », écrit l’auteur himself dès les premières pages de son roman.

arthur terrier

Style et ambition.

De manière (toujours) sérieuse : Arthur Terrier est un vingtenaire. (Un, heu… Milléniale?) qui signe là une œuvre stylistiquement très ambitieuse – utilisant une mécanique narrative a priori casse-gueule, celle de la musicalité redondante – et Terrier, parfois sur le fil, ne tombe pas dans le piège de la lourdeur. Le rythme ne pèse pas : il obsède.

Il vit à Paris. En soit, cette information est aussi dénuée d’intérêt littéraire (à moins de fantasmer un certain milieu germanopratin, ou plus généralement un fabuleux « Paris des écrivains » inexistant depuis à peu près plusieurs siècles), cette information est aussi farfelue que la couleur de sa tignasse.

Sauf que.

Paris, et une rue de Paris et un petit café pas loin de cette rue ont un rôle authentique et typiquement romanesque dans Chercher Kinski. Ou dans la vie personnelle de l’auteur. Ou les deux, ça on ne sait pas.

Dans le vif du sujet.

Paris commence vraiment à déglinguer le personnage narrateur, qui a déjà, de toute façon, de « terribles préoccupations ». Tellement, qu’il considère que la seule chose à faire est de se détruire. Alors et pour se faire, un beau jour, tout seul dans son appart, l’homme décide de tout nier, de tout réfuter, tout oublier, de dire non à tout et de dédaigner toutes choses (tour de force littéraire – description de la négation impeccable) – avant que ne vienne « l’échappatoire » qui prendra une forme inattendue :

In extremis, si l’on peut dire, un ami lui parle – ils se rencontrent dans un petit café – d’un jeune écrivain, Kinski, qui a très-mystérieusement disparu.

L’auteur enfonce le clou : « Il faudrait toujours se méfier de Paris parce qu’à Paris, il y a autant de bâtiments splendides que de disparitions ». Le roman, à peine commencé, donne déjà le vertige, offrant derechef des scènes fantastiques – visuelles, spirituelles – diablement efficaces.

Kinski.

Et on dit que Kinski se trouverait à Londres et le narrateur va à Londres. À Brixton, Londres, plus précisément et ce sera un Brixton caractériel qui s’avérera être bien plus et bien mieux qu’un simple cadre-decorum  géographique – présenté aussi cruellement et parfois désespérant que le fut Paris – Brixton, quasiment un personnage, ayant son propre tempérament.

Pour l’ensemble et le contenu du roman, le résumé qu’en propose l’éditeur me paraissant un tantinet abscons et relativement fourre-tout, je me positionne en œil public :
Chercher Kinski est un récit romanesque, un livre d’aventure dans lequel le narrateur, parti donc à Londres à la recherche de ce Kinski, ne le trouvant pas dans les rues, dirige sa recherche dans les livres – car où dénicher le mieux les écrivains, si ce n’est dans les livres ? – et enfin dans l’expérience même de l’écriture. Il rentrera au bercail – Paris – à moitié-fou certes, mais lénifié et auto-identifié.

Mise en abîme.

Ce roman est une magistrale mise en abyme dans la reproduction du narrateur devenu un lecteur assidu et fiévreux. Ici, c’est la littérature qui parle d’elle-même, qui entre en résonance avec elle-même. Prenant en compte les réflexions sur les nombreux livres lus par le personnage – des considérations sincères, justes, érudites et jamais pompeuses – l’intertextualité se met entièrement au service de l’intrigue.

La narration progresse jusqu’à un fantastique effet de miroir, le narrateur recherchant maintenant aussi bien Kinski que son style propre (ce qu’il appelle sa phrase). La quête trouve son apogée et atteint des sommets dans la découverte de l’œuvre de Thomas Bernhard – et l’on songera à une forme plus ou moins consciente de mimétisme de l’auteur de Perturbation dans la prose d’Arthur Terrier, toute faite de poésies et de tensions, de répétitions et d’échos – un écrivain moins grave et tout aussi émouvant, répondant sans plus de détour au nom d’Arthur « Kinski » Terrier.

 

Nous remercions chaleureusement cette chronique de l’ami David Laurençon, qui nous en avait déjà gratifié d’une, très différente, d’un concert de Bob Dylan et que vous pouvez retrouver ICI

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