[ TEXTE BREF ] THOMAS DEGRÉ, Poison d’avril

Thomas Degré, notre auteur du mois de février, nous offre la possibilité de publier un texte de circonstance.

Il a été notre invité durant tout février, et le revoici pour un texte court, intitulé Poison d’avril, tout à fait de circonstance. Nous  remercions chaleureusement Thomas Degré de nous permettre cette diffusion, et tenons à vous signaler qu’il a trouvé éditeur pour son roman Comme un roman, actuellement en correction, dont vous aviez pu découvrir un extrait ICI. Mais trêve de bavardages, découvrez tout de suite Poison d’avril.

Poison d’avril

Des milliers de morts dans le monde,
La Chine, et maintenant l’Inde, l’Europe, les Etats-désUnis,
Crémone, ville martyre d’une Italie sinistrée,
Julie, une adolescente de 16 ans, décède en Ile-de-France

Hôpitaux débordés, infirmières contaminées,
Des dizaines de médecins français, déjà, ont succombé
On recherche des masques et des gants,
Comme Suzanne, désespérément

Rues et places désertées de leurs habitants confinés
Rideaux métalliques baissés
Cités fantômes, nations en récession
La pire depuis les années 30…

Je me lève en pensant à un poisson d’avril de mauvais goût comme peuvent en faire certains présentateurs sur les ondes chaque année, un premier avril. J’enfile un pantalon et un blouson pour aller chercher du pain et des croissants.
La température est encore fraiche, mais avant la diffusion du Journal de 8h 30 et de ce poisson d’avril calamiteux, qui, je l’avoue, m’a un peu secoué, la radio a annoncé une belle journée. Très vite, je suis rassuré : tout semble normal, je n’ai aucun doute ; il y a là le SDF, au coin de la rue, à qui j’ai l’habitude de donner 1€ accompagné d’un ou deux mots amicaux ; une femme forte et âgée que je croise régulièrement, chargée de son cabas, et qui a du mal à marcher ; et bien sûr la boulangère, qui, invariablement, vous assène avec son air pincé un « Et avec ça… ? », avant de vous rendre la monnaie.
En revenant tranquillement sur mes pas, je parcours les titres de mon quotidien: un petit garçon est mort au large de l’île grecque de Lesbos lors du naufrage d’une embarcation de fortune chargée d’une cinquantaine de migrants ; après le décès de Rebecca qui a succombé sous les coups de son compagnon, le nombre de féminicides en France s’est élevé à 149 en 2019 ; à Paris, il y a eu cette même année 23% de sans-abri de plus qu’en 2018…. « Oui, rien que de bien normal », me dis-je, en ouvrant la porte de mon appartement, « pas comme cet étrange poison d’avril annonçant tous ces morts, ces rues et places désertées… »ʺ La mairie de Paris déclare qu’elle fera désormais appel aux pousse-pousse pour pallier aux grèves de transports ʺ. La voix du speaker recouvre le grésillement du poste dans la cuisine. J’avais oublié de l’arrêter en partant.
Un poisson d’avril chasse l’autre. Je préfère celui-ci. Allez savoir pourquoi, je pense à un poème de Paul Eluard, Liberté : Sur les sentiers éveillés/ Sur les routes déployées/Sur les places qui débordent /J’écris ton nom.
Paris, 1er avril 2020

Ce texte “Poison d’avril” est publié avec l’aimable autorisation de Thomas Degré.
© Thomas Degré– tous droits réservés, reproduction interdite.

thomas degré

 

 

Retrouvez les articles que nous avions consacré à Thomas Degré ICI

FB de Thomas Degré

Ajoutez un commentaire