[ QUESTIONS ] SOUAD MANI, observer le devenir monde…

Nous avons posé quelques questions à Souad Mani, chercheuse, plasticienne, visant à approfondir le portrait que nous avons fait d’elle il y a quelques jours. Découvrez ses réponses qui éclairent son travail de façon plus précise.

Litzic : Bonjour Souad et merci d’avoir trouvé un peu de temps pour répondre à nos questions. Je commence par la traditionnelle : Comment vas-tu ?

Souad Mani : Que dire après un Tsunami politique en Tunisie ? J’avance.

L : Peux-tu nous expliquer rapidement qui tu es et quel est ton parcours ?

Souad Mani : J’ai obtenu une maitrise en arts plastiques en 2004, puis un Master de recherche en esthétiques et arts visuels en 2006 (délivré par l’Institut supérieur des Beaux-arts de Sousse). J’ai commencé la recherche doctorale la même année, à Tunis, qui m’a permis d’obtenir un poste d’assistante au sein du ministère de l’enseignement Supérieur tunisien. Je n’ai pas terminé ma thèse, par envie et besoin d’approfondir le travail sur le terrain, je la considère comme partie remise.

Entre 2010 et2014 j’ai fait une expérience de navette hebdomadaire de 8 heures pour aller enseigner dans la ville de Gafsa, située aux portes du désert tunisien. C’est une ville minière, avec un climat et un historique politique très chaud. C’était une expérience intense sur tous les niveaux, qui a révélé et ancré différents axes de mon travail artistique. J’ai commencé à développer une pratique transmédia à partir de 2008.

Je suis à l’heure actuelle enseignante, plasticienne chercheuse indépendante, et je travaille sur des projets de longue haleine sur différents territoires. Je suis notamment, depuis 2016, la directrice artistique de la jeune association Delta, qui mène des projets autonomes de recherches artistiques liés aux territoires et aux sciences.

…observer le « devenir monde » d’une photo de soi.

Peux-tu nous expliquer quelle est la base de ton travail artistique et quels en ont été les déclencheurs ?

Souad Mani : Je noue, depuis 2008, à travers mon projet « Elle M’aime » (sous le mode de la multiplication, du partage et de la pollinisation d’un de mes autoportraits), des liens vivants à travers le monde. Je tente de voir dans quelle mesure cette démarche peut provoquer des relations fécondes et notamment observer le « devenir monde » d’une photo de soi.

Mon travail artistique est transdisciplinaire et processuel, se déploie à travers des expérimentations technos-poétiques souvent évolutives. Du land art, de la performance, de la vidéo au Webart en passant par la photographie et la visualisation des données, je scrute les différents devenirs de mon autoportrait et je m’intéresse aux métadonnées, au travail collaboratif et participatif. Dans une approche conceptuelle géo-picturale et géo-relationnelle, je renouvelle les  interrogations autour du statut de l’oeuvre, de l’artiste et du spectateur à l’ère des intelligences collectives et des objets connectés.

Je considère mon travail un grand chantier sur une mappemonde.

Ton travail s’inspire autant de l’environnement naturel que de l’environnement technologique. Quels sont les liens qui les unissent ?

Souad Mani : Dans mon travail, les deux environnements naturels et technologiques s’agencent, et souvent l’un héberge l’autre, ou se reflètent, ou même carrément créent des tensions entre eux. L’environnement technologique me fournit des outils qui me permettent en premier lieu de créer un travail de semence, de partage, et de pousser les capacités de ces outils afin de les ancrer dans l’environnement naturel que j’habite. La technologie me permet de déployer des possibilités de transformation et de réécriture des figures du «paysage» que j’habite, ou celle de l’«être» afin de créer un dialogue esthétique et conceptuel qui sonde plusieurs archéologies, essentiellement médiumnique.

L’environnement technologique me permet de diversifier les écritures des récits figuratifs ou abstraits autour de l’environnement naturel. Par conséquent, ce dernier me permet de réfléchir l’environnement technologique et de structurer les protocoles, et les formes représentées dans mon travail. Les liens entre les deux sont des liens indiscernables comme l’énergie, l’évolution de l’«être», le temps et l’«écologie de la création».

S’il y a un but à atteindre c’est celui d’observer la structure de ce projet d’autoportrait connecté au réel

Quel but poursuis-tu en réalisant tes oeuvres?

Souad Mani : Toutes mes oeuvres et/ou projets réalisés en solo ou collectivement sont interconnectées d’une façon ou d’une autre. Ils ont tous le même projet racine qui est un autoportrait partagé, multiplié, cartographié et dont l’ambition est de le délocaliser et d’enfanter des nouveaux noyaux.
S’il y a un but à atteindre c’est celui d’observer la structure de ce projet d’autoportrait connecté au réel et de le voir devenir un monde complexe peuplé, ramifié et dense. En utilisant des outils technologiques ou autres, l’ambition est de renforcer des liens singuliers, vivants et poétiques, d’observer les fécondations et d’ancrer l’«être» singulier ou collectif dans une pratique relationnelle sans limites géographiques.

Tu cherches l’interaction, l’échange avec les gens (passants, visiteurs etc…). Comment se crée le lien ? Est-il spontané ou faut-il aller chercher les personnes pour qu’elles s’immergent dans ton travail ?

Souad Mani : L’interaction et l’échange dans mon travail sont divers. Au cours de l’évolution de mon travail, le spectateur change de statut, d’un seuil à un autre, et d’un projet à un autre. En 2010 dans le projet «Elle M’aime», il était invité à participer et devenir acteur dans l’oeuvre via le mailing.

Ensuite, il a eu le rôle du spect-acteur dans les projets, «vous êtes ici et ailleurs» et «Temps augmenté», puis il est devenu peu de temps après un collaborateur ou co-constructeur de certains projets comme dans le projet « Under the sand » et «Impressions embarquées».
Aujourd’hui, d’autres statuts m’intéressent, comme ceux de l’observateur et du témoin. Les observateurs sont ceux qui ont assisté à l’évolution et la naissance de mon processus, et qui ont la capacité de faire le lien et la connexion entre les différents aspects dispersés dans mon travail. Ils ne sont pas invités à le faire mais ils sont connectés spontanément à mes activités via les réseaux ou en dialoguant avec moi. Les témoins par contre sont généralement choisis selon le contexte de l’intervention et sont limités dans le nombre contrairement aux observateurs.

Dans ma relation avec les témoins, il y a en général une forme de transmission.

Mais pour mieux appréhender son œuvre, vous trouverez quelques liens en bas d’article (en attendant la reconstruction de son site) conduisant vers les travaux de cette artiste protéiforme à la curiosité insatiable.

souad mani questions portrait

Points d’ancrages. Forêt d’Armainvilliers, Paris. Août 2019.
© Droneez Paris
ce cercle rouge est une representation de soi et aussi une représentation de données GPs

Le tumblr de Souad Mani (et un autre en particulier)
Ses vidéos ICI ICI et ICI
Son instagram

 

Ajoutez un commentaire