JÉRÉMIE FERREIRA-MARTINS, Morosité et Porosité (mot de la fin)
Un espoir ?
Il est temps de clore ce premier mois de cette nouvelle saison débutant. Notre auteur mis en avant vous délivre un mot de la fin qui dresse des constats simples, sans morale basique. Laisser le pouvoir de l’imaginaire nous submerger, c’est fuir la réalité. S’en nourrir, c’est éveiller une curiosité, un esprit critique également. Nous remercions chaleureusement Jérémie pour ce mois passé en sa compagnie, pour sa littérature également, car même si elle ouvre sur l’imaginaire, elle ne manque jamais de nous interroger sur une part de notre réalité. On vous laisse avec son mot de la fin, Morosité et Porosité, qui vous le verrez ne manque pas de bon sens.
Morosité et porosité.
Dans le film Le Cerveau, la tête de David Niven penche toujours d’un côté. Parfois, j’ai l’impression qu’il m’arrive la même chose quand l’imaginaire prend le pas sur le réel.
La réalité, nous nous y débattons en permanence, qu’on approuve ou non la marche du monde. Depuis un an et demi, elle déborde de morosité. Nous avions une occasion unique de modifier en profondeur nos habitudes : favoriser les circuits courts, prendre le temps avec nos proches, se détourner du futile… Ce fantasme du « monde d’après » a vécu. La course au morbide des chaînes d’info en continu n’est qu’un symptôme de cet échec parmi d’autres.
Cela fait un an et demi que l’on vit dans un épisode de Black Mirror, en surnageant dans cette morosité. La tentation est grande de fuir ce quotidien ankylosé.
Pourtant, certains s’en éloignent tellement que leur situation empire. L’imaginaire comme refuge est une idée fausse, voire dangereuse. Comme souvent, la solution réside dans la mesure, et ceux qui ont plongé à corps perdu dans l’imaginaire pour fuir la réalité en sont souvent pour leurs frais. Les plus représentatifs sont les accros au jeu en ligne ou les drogués du smartphone.
Cet outil, devenu omniprésent, est un voyageur pressé, qui n’a jamais le temps de s’arrêter pour flâner. L’imaginaire, lui, relève plus du touriste aimant arpenter les ruelles qui serpentent, se perdre loin des raccourcis, en un mot : vagabonder.
L’enjeu futur de cette lutte entre le réel et l’imaginaire réside dans l’Intelligence Artificielle. Aujourd’hui, elle est capable de détecter des cancers de la peau, mais ouvre également des perspectives alarmantes, par le contrôle qu’elle pourrait exercer sur chacun de nous. Bienfait ou danger : de quel côté penche son cerveau ?
« Monsieur, j’ai jamais eu d’imagination ! »
Bien souvent, celui de mes élèves dresse un constat sans appel : « Monsieur, j’ai jamais eu d’imagination ! » Je leur réponds souvent qu’il s’agit d’un muscle, qu’elle se travaille au même titre que la mémoire ou les abdos obliques. La notion d’imaginaire me renvoie à ma prime jeunesse, quand je me régalais de Retour vers le Futur, Star Wars ou Saint Seiya. Doudous ou shônen de Proust, ces récits sont associés à notre enfance comme Marty Mc Fly à Doc Brown.
Nous vivons un paradoxe : jamais une époque n’avait offert une telle abondance de récits imaginaires, et pourtant l’hémisphère droit de nos cerveaux est souvent délaissé. La créativité s’étiole sous les coups des reprises musicales et des remakes-reboots-franchises interchangeables dont charrient les cinémas. Vous le connaissez, ce fil qui dépasse de votre pull en laine ? Celui qui se déroule à l’infini tant que vous tirez dessus ? Eh bien, l’imaginaire, c’est lui. Il est une flamme à entretenir, mais on n’y parvient qu’en irriguant son esprit de récits, en refusant de céder à la facilité du prémâché. Les sirènes d’Ulysse portent aujourd’hui les costumes des directeurs marketing.
Mon intention n’est pas de devenir un ayatollah du livre, car les films et les séries sont aussi d’excellents moyens de s’évader. Mais je revendique le rôle d’intégriste de l’imaginaire : c’est ce qui m’a conduit à me représenter entre une carte du monde réel et celle d’un monde que j’ai inventé.
L’invention est-elle le moteur de l’imagination, ou sa conséquence ? Les récents progrès technologiques posent problème à la science-fiction car le réel la rattrape. Il existe bien une porosité entre réalité et imaginaire. Le secret est de naviguer, de se construire son propre TARDIS pour butiner de l’une à l’autre.
Les sirènes d’Ulysse.
On l’a dit, l’imaginaire comme refuge est une idée fausse. Fuir ses responsabilités n’a jamais aidé personne. En revanche, prendre de la distance permet de mieux considérer les choses. Le secret réside donc dans l’équilibre. Fuir le réel est l’apanage des déserteurs. Explorer l’imaginaire pour se constituer une carapace aide à faire front.
Je vous propose donc de vous tenir comme moi avec mes cartes : à mi-chemin entre imaginaire et réalité, puisant dans l’un la force d’affronter l’autre. Le groupe Eiffel disait « si on n’était pas fous, on deviendrait tous dingues », alors cultivons cette folie ! Régalons-nous de fantastique, soyons ivres de fantasy, repus de science-fiction ! En pages, en films, en épisodes : qu’importe la fiction, pourvu qu’elle nous caresse !
Jouons donc de cette porosité pour chasser la morosité. L’imagination est vitale, que l’on soit chantre du pessimisme ou indécrottable optimiste. Vous seuls décidez de quel côté penchera votre tête…
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Partie 1 du prologue Le schisme des douze et la partie 2 de ce même prologue.
Chronique Rédemption , chronique d’Elven et chronique de Trajectoires croisées
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