[ ROMAN ] PHILIPPE SARR, Les chairs utopiques
les chairs utopiques, roman de Philippe Sarr (aux Editions sans Crispation)
Situons les choses dans leur contexte, à savoir quelque part entre 1984, le chef-d’œuvre de Georges Orwell (big brother is watching you !, c’est lui) et Matrix des sœurs Wachowski. Vous secouez le tout, créez une architecture sur des fondations Sartres, Césaire, Camus (et autres Brautigan) et vous obtenez Les chairs utopiques de Philippe Sarr (Crispation éditions).
Le premier roman de Philippe Sarr est une visite libre de la psyché d’un écrivain dont les personnages principaux ne sont autres que les écrivains renommés cités un peu plus haut, auteurs transférés dans des corps connecté à goog… aux Grand Connecteur. Celui-ci influe sur la réalité, la détourne, chamboule de ce fait la théorie du cogito ergo sum, interroge sur les fondements des souvenirs (réels ? Induits ? ) et sur la réalité/nécessité des relations humaines.
Frontières floues d’une réalité biaisée.
Pêle-mêle d’idées liées entre elles par la fulgurance de la plume de Philippe, mais ne répondant à aucune idée de linéarité narrative autre que celle, très personnelle, de son auteur, le bouquin peut en décontenancer plus d’un. Pourtant, si vous acceptez d’être bousculés dans vos certitudes, vous serez rapidement séduit par l’écriture et le concept des chairs utopiques.
Intuitive, foisonnante, documentée (ou donnant fortement l’impression de l’être), l’écriture de P.Sarr s’avère très addictive tant elle dégage des charmes vénéneux. Pas de redite, fluide, elle contraste avec cette forme plus abrupte de narration, ne cède à aucune facilité, ne caresse personne dans le sens du poil et a le mérite de repousser très loin les spectres d’une écriture policée et calibrée « commerce ».
Pour ce qui est de l’histoire, il convient de se laisser aller, de faire tomber les barrières de la pensée unique pour se laisser embrigader dans cette quête du moi, de la liberté de penser par soi-même et ne pas se laisser charmer par les sirènes de goog… du Grand Connecteur. La folie douce qui règne en ces pages est salvatrice et correspond à cette phrase entendue ou lue quelque part, de nous ne savons plus qui, qui dit en substance : je préfère les fous aux gens normaux car les fous ne cachent rien de qui ils sont.
Une plume virevoltante.
En ce sens, la sincérité ruisselant le long de ces pages n’a d’égale que l’intelligence d’écriture (notamment par le simple fait que l’auteur ne se perde pas lui-même dans les méandres de cette narration expérimentale) en découlant. Un livre qui devrait être mis dans toutes les mains, surtout dans celles qui croient que la littérature doit correspondre à des canons maints et maints fois réitérés, rabâchés, recrachés, de façon plus ou moins heureuse par des profs de français par toujours inspirés.
Nous terminerons par cette analogie, peut-être un peu douteuse de prime abord, mais qui nous tient à cœur. De nombreux musiciens disent de Bob Dylan qu’il leur a permis de s’affranchir de leur difficulté à chanter d’une façon qui leur est propre. En lisant Les chairs utopiques, nous pouvons presque affirmer que ce livre peut-être un déclencheur pour plus d’un : écrivez comme vous le sentez, et non comme vous croyez devoir le faire. C’est encore la meilleure façon de procéder pour toucher les lecteurs.
Ce que Philippe Sarr parvient à faire. Sans se renier.