LET’S EAT GRANDMA I’m all ears
Dès l’introduction, le ton est donné. Ici, tout ne sera que noirceur, traversé de quelques éclairs lumineux. Pourtant, le titre Whitewater aurait pu laisser présager quelques enluminures merveilleuses mais Let’s Eat Grandma aime le contrepied. D’eau blanche, nous ne voyons qu’un bourbier marécageux inhospitalier, boueux, aux relents fétides de feuilles mortes fermentées. Le ton est donné. I’m All Ears commence…
Les deux jeunes anglaises, multi-instrumentistes nous avaient rétamés avec I, Gemini, leur premier album démontrant à merveille que la maturité artistique n’est pas une question d’âge. Leur musique jouissait d’une maîtrise incroyable et d’une inventivité juvénile, de celle qui montre qu’à cet âge-là, tout est possible.
Pourtant, derrière la fulgurance de titres instantanément assimilables régnait déjà une atmosphère sombre, presque putride, morbide… Lucide ? Peut-être car l’adolescence offre une acuité toute particulière sur la vie, sortie de l’enfance pour le monde des adultes oblige.
I’m all ears repart sur cette base sombre, oppressante, avec des sonorités crépusculaires sur lesquelles se posent ces voix pas encore tout à fait adultes. Portée par des rythmiques électros, la pop de Let’s Eat Grandma n’oublie jamais de nous surprendre. Les claviers sont ultra-présents, jouant l’effet « cathédrale » (orgue) instaurant une présence inquiétante, imposante, parfois pieuse, parfois païenne. Mais rassurez vous, tout n’est pas tout sombre, les jeunes femmes nous offrent des moments nimbés d’une clarté brumeuse emprunté à l’univers du rêve comme autant de pauses où reprendre pied.
Un lyrisme candide s’impose. Entraînantes, les compos invitent presque à la danse. Presque parce que nous sommes plongés dans un univers riche et très personnel qui nous donne envie de décrypter plus avant la musique du duo. Les arrangements sont subtils, précieux, les agencements des morceaux sont malins et tout saufs prévisibles. La touche Let’s Eat Grandma est donc bien présente, en nuances, légère.
Si certains artistes nous épatent par leur inventivité, peu y arrivent cependant à la hauteur des deux jeunes femmes dont la musique déclenche en nous une salve d’émotions, qui en entraînent d’autres. Effet domino : d’abord, la fascination de nous trouver face à une œuvre à nulle autre pareille, puis un émerveillement face à une telle maîtrise de la composition, enfin un léger malaise (pas désagréable au demeurant) quant à ce que trimballe ce duo. Le noir, s’il leur sied bien, conviendrait peut-être mieux à une personne plus âgée et désabusée par la vie.
Ce qui l’emporte néanmoins, c’est la beauté de leur ouvrage. Rares sont les groupes à pouvoir produire un deuxième disque aussi dense, aussi fiévreux, aussi incroyablement novateur. D’autant plus que la production est au diapason et peut compter sur la présence de David Wrench (The xx, Frank Ocean, Caribou), SOPHIE (Madonna, Charli XCX, Vince Staples, Le1f …) et Faris Badwan (The Horrors). Nous n’avons aucune idée d’où Let’s Eat Grandma s’arrêtera, nous savons juste qu’elles frappent juste fort, très fort, très très très fort ! Le résultat est juste époustouflant.
Plutôt que de combler nos attentes avec ce I’m All Ears, les anglaises ne font qu’aiguiser notre appétit. Nous attendons la suite de leur production avec une impatience rare tant ce qu’elles nous offrent est d’une richesse rare. C’en est à peine croyable…
Pour rappel, le clip de Hot Pink est visionnable ICI