PHILIPPE LABAUNE En creux

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c’est un théâtre une ruine un sous-sol où mourir de sa mort rien ne se passe on est prié de fermer les yeux une ouverture vive dans un mur bleu comme de craie un rectangle d’air immobile une cellule vide et devant bancs et fauteuils pour les fantômes à hauteur de sol la-haut deux chaises assises face à face en cinémascope à la lumière tombante et la poussière qui bruit lent glissement des particules contre le jour les mots entre les chaises posés sur la table et recouverts du temps presque un arrêt presque mais quelques millimètres à peine et la trace dans le sol les sièges bougent peu sans direction écoutent grincer le bois des vieux temps dessinent un centre de silence néon blanc gris bleu contre voilage de la lumière du soir attendre des siècles la chute des meubles à cette place précisément c’est la violence du vide et aucune voix pour constater la disparition en cours – si une voix si – comment c’est venu cette expérience de la vie morte de l’inanimé vivant ici oui l’épreuve d’un effacement au ralenti quand ne bougent que d’infimes sons au-dedans au-dehors à peine ne voir que bruits grincements et raclements de fourmis c’est une leçon muette d’anéantissement d’immobilisation qui étaient-ils sans rideaux seules les paupières et le creux moussu des oreilles c’est une réalité bleue pâle plus loin et sans couleur un autre jour les chaises ont glissé l’une vers l’autre certitude de l’immobilité de l’air là près du cadavre de l’aimé s’imagine les esprits se souvient du poids des mains ensemble depuis une place où l’on n’est pas il faudrait donner un lit parler dormir préparer un repas jouer faire l’amour et tenter de ravir les morts au fond de la gorge quatre vingt dix degrés l’une vers l’autre chaise toujours le vide devant dedans autour c’est une perspective curieuse l’oeil de la voyure progresse dans la représentation où est ma mort quémande la parole qui ne peut pas pleurer le langage à la naissance imprononçable des figures auxquelles le rêveur a cru dans l’agonie de l’image il danse en avançant vers sa fin il faudrait pouvoir s’allonger voir tout dedans entrer entier dans le regard se retourner comme si c’était la dernière fois

Ce texte, extrait du recueil Panoptikon*, est publié avec l’aimable autorisation de Philippe Labaune.

© Philippe Labaune – tous droits réservés, reproduction interdite.

 

*Ce recueil est à la recherche de son éditeur. Contactez-nous pour plus d’informations : correspondance@litzic.fr

 

Portrait de Philippe Labaune

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