LUNA BERETTA/LUCAS OTTIN Bazoocam, le chatroulette français

Bazoocam est un site web de messagerie instantanée et de visiophonie qui met des internautes piochés au hasard en relation. Libre à vous d’accepter ou de refuser le dialogue. Dans ce fragment de texte écrit par Luna Beretta et Lucas Ottin, Bazzocam, le chatroulette français (Les crocs électriques) explore la face visible et invisible de ce système, et, en pointillés, celui de notre société.

Le livre est façonné de la façon suivante : une partie très proche d’une conversation de chat, c’est-à-dire, questions-réponses, souvent brèves, ponctuées de nombreux mots abrégés, style SMS phonétisé à l’extrême, qui nous propulse directement dans cet univers de dialogue, puis, à sa suite, une partie mieux rédigée, basée sur la réflexion d’un des deux acteurs de cette discussion virtuelle, sur ses motivations avouées ou cachées. Puis retour vers un nouveau dialogue, nouvelle « analyse », et ainsi de suite (ou presque).

Il va sans dire que les deux parties sont parfaitement maîtrisées, bien que l’exercice de style soit des plus casse-gueule. Pourtant, il existe là une vérité dans la transcription de ce qui est vécu, l’instantanéité du dialogue et la phase plus posée de la réflexion quant aux motivations profondes de chacun.

Celles-ci sont diverses et évoquées de façons précises. Il n’y a aucun critère de jugement dans l’écriture des auteurs, juste une forme de compréhension et d’interrogation justifiée. Ils exploitent ce filon pour revenir à l’essentiel, à savoir « qu’est ce qui peut bien nous pousser à user de ce type de messagerie. »

Si nous ressentons une forme de résignation dans ce texte, de fatalité presque, comme si aucune lumière ne pouvait survenir dans cet univers glauque, triste, la plume de Luna et de Lucas déjoue tout manichéisme bancal. Certes, la constatation est froide, distante, et cela se ressent dans cette écriture d’où semble extraite toute vie, néanmoins l’effet, parfaitement réussi, crédible, permet de faire ressortir la psychologie des personnages qui y est décryptée avec finesse et acuité, les rendant tous plus ou moins attachants.

Si l’univers Bazoocam s’avère souvent peu joyeux, marquant un mal-être personnel et sociétal, quelques qualités y sont discernées, qualités qui donnent un peu foi en l’Homme. Tous ne sont pas simplement des zombies obsédés, certains y cherchent une forme de réconfort et parfois la trouvent, un peu comme par magie.

Ce livre sert de filtre grossissant sur la misère affective qui nous entoure, sur la dépendance à l’image, sur la dépendance à autrui. Jadis, nous n’avions qu’à sortir pour parler avec les gens que nous croisions en ville, au marché, aujourd’hui nous avons recours à cette technologie parfois déshumanisante mais aussi parfois salvatrice car faisant fi des différences qui peuvent justement, parfois, nous enfermer dans notre vie.

Malgré sa relative brièveté, Bazoocam touche pile là où ça fait mal, nous permet de comprendre et aussi de pardonner certains fonctionnements (ceux des autres comme les nôtres). L’immersion est totale et la plume à quatre mains y est acérée.

Un regard à un moment « m » de l’histoire de l’Homme qui rend justice au rôle de l’écrivain dans son ensemble et à ses deux auteurs en particulier, à savoir celui d’observateur éclairé de notre société.

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