SIMON CLAIR Lizzy Mercier Descloux, une éclipse

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Récit musique sur une artiste française oubliée

De tout temps, il y a eu des personnes influentes qui sont tombées dans les oubliettes de l’histoire. C’est le cas de Lizzy Mercier Descloux, artiste française qui s’est éveillée sur la scène no-wave New-Yorkaise et qui, à l’heure où le terme n’existait pas encore, a fait découvrir la world music à l’hexagone (et peut-être même au monde occidental). Retour sur le parcours incroyable et improbable de cette presque anonyme morte dans le plus grand dénuement.

LE LIVRE

Lizzy Mercier Descloux, une éclipse de Simon Clair (playlist society) est un récit biographique qui revient sur l’éclosion de cette artiste née Martine-Elisabeth Mercier (par sa mère) Descloux (par son père). Déjà, à sa naissance, sa vie est compliquée puisqu’elle est née de père inconnu et d’une mère négligente. Ce sont sa tante et son oncle qui se sont occupés d’elle, dans le quartier des Halles.

C’est là qu’elle y fait la connaissance de Michel Esteban. Celui-ci tient la boutique Harry Cover qui vend 33 et 45 tours, quelques magazines et tout ce qu’on appelle aujourd’hui merchandising (t-shirt à l’effigie des groupes, sans autorisation bien sûr, badges etc…). Quand Michel décide de retourner vers New York (où il a rencontré Iggy Pop, Patty Smith, rien que ça), elle embarque avec lui.

Sur place, elle découvre une ville dangereuse et la scène punk locale. L’effervescence lui donne des ailes, elle y fait des rencontres folles, tisse des amitiés (Patty Smith, Richard Hell, entre autres) et chante, joue de la guitare dans Rosa Yemen (toujours avec Michel Esteban). Enfin, chante et joue de la guitare… façon de parler. Elle crie, elle éructe, elle malmène sa six cordes pour produire une musique sans concessions qui s’inscrit parfaitement dans le mouvement no-wave en vogue à New York.

Un disque, puis un deuxième voient le jour, toujours à New York. Mais la vie change dans la capitale artistique des États-Unis. Il lui faut bouger, suivre aussi des inspirations en mutation. Direction les Bahamas. Ce déménagement ne fait que confirmer son inclination pour les musiques du bout du monde. Un album voit le jour sur place, Mambo Nassau, puis direction l’Afrique du Sud pour Zulu Rock. Elle y enregistre, en plein apartheid, un disque avec les musiciens noirs de Soweto.

Des crédits mal renseignés et c’est la polémique. « Elle a volé les Sud-africains » crient au scandale certains magazines. Sa réputation se ternit, de même que son aura. Elle a initié la world-music, d’autres en récoltent le fruit (Peter Gabriel, Malcom Mc Laren même si les liens ne sont pas forcément établis de façon certaine, seules les dates semblent corroborer les faits) en surfant sur la tendance.

Un autre disque enregistré au Brésil, des dissension avec Michel Esteban et c’est la fin de la carrière de Lizzy Mercier Descloux. Elle finit sa vie seule, sans argent, mais toujours en phase avec le monde artistique et surtout avec sa propre conception de l’art. Elle meurt à 47 ans des suites d’un cancer.

NOTRE AVIS

Outre les aspects biographiques brièvement racontés ci-dessus, Simon Clair nous dresse deux portraits : celui de cette femme en désir d’émancipation (de l’homme, des ressorts de l’industrie musicale et artistique en général) et celle d’une industrie en pleine expansion, d’une part à New York, puis de façon plus globale lorsque Lizzy Mercier Descloux s’inspire des musiques traditionnelles en les infusant dans la pop.

Nous découvrons une femme forte, intègre, qui s’est battue avec ses armes, sa fougue, son idéal, sa passion, sans que le portrait que lui dresse Simon Clair soit déformé par le prisme de l’adoration. Au contraire, l’honnêteté de l’auteur est tangible car très bien documentée et reposant sur des témoignages de proches de l’artiste, ainsi que sur des interviews réalisées dans différents magazines d’époque.

Le bouquin nous replonge dans cette émulation artistique ayant fait une part de la réputation de la Grosse Pomme. Nous nous y voyons, fantasmons ces univers fait de musique, de beuveries, d’innovations stylistiques, et avons également la confirmation que le parcours d’une femme dans l’univers presque 100% masculin de l’époque (mais cela a-t-il réellement changé aujourd’hui ?) s’avérait un véritable parcours du combattant.

Malgré des capacités créatives certaines et une vision très personnelle de l’art, Lizzy Mercier Descloux n’était pas prise véritablement au sérieux par ses pairs et surtout par les pontes de l’industrie musicale qui avait pour référent Michel Esteban notamment. Mais cela n’est pas la seule raison de cette fin de carrière (et de vie) calamiteuse, les choix de la chanteuse n’y sont effectivement pas étrangers, combien même son apport aura enclenché (ou du moins permis une plus grande visibilité) les deux mouvements no-wave et world (avec une pincée de disco) et inspiré de nombreux artistes.

Nous ressortons de la lecture du roman déçu. Non pas du contenu, mais de n’avoir pas fait partie de la fête, de ne pas avoir connu cette femme magnétique et inspirante. Aujourd’hui, malgré certaines avancées, la condition de la femme est encore largement améliorable dans l’industrie du spectacle et de la musique, mais sans doute des feux follets tels que Lizzy Mercier Descloux ont fait bouger les lignes, à la leur façon, en refusant de se soumettre et d’accepter les schémas pré-établis.

Le double portrait brossé par Simon Clair se trouve donc étonnamment en prise avec le présent. Il nous montre également que nous sommes sans doute passés à coté de pas mal d’artistes féminines novatrice qu’il conviendra de réhabiliter. Ce que l’auteur parvient à faire ici, à merveille et avec tact.

Captivant.

AUTRE

Retrouvez l’interview de l’auteur Simon Clair ICI

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